Lucia di Lammermoor pour la Fête nationale monégasque

Xl_137-lucia_di_lammermoor_-_g_n_rale___2019_-_alain_hanel_-_omc__37_ © Alain Hanel

Après avoir été portée sur les fonts baptismaux au New National Theater de Tokyo en 2017, puis donnée au Palau de les Arts de Valencia la saison passée, c’est à l'Opéra de Monte-Carlo que la production de Lucia di Lammermoor signée par Jean-Louis Grinda est présentée, à l’occasion de la Fête nationale monégasque. S’il transpose l’action à l’époque de la création (1835), c’est bien une Ecosse plus vraie que nature que nous retrouvons, avec ses châteaux ancestraux, ses landes désertiques, ses falaises escarpées et, bien sûr, ses flots tumultueux (superbes vidéos de Julien Soulier). L’aspect gothique de l’ouvrage de Walter Scott est ici remplacé par un furieux romantisme, trouvant son point d’incandescence dans les dramatiques (et somptueux) éclairages de Laurent Castaingt, qui nous valent des images alla Caspar David Friedrich (photo). Mais les idées scéniques ne manquent pas non plus, telle l’oppressante grande salle du château des Ashton, truffée de trophées de chasse et autres hallebardes (le portrait psychologique du frère de Lucia est ainsi planté, ce dernier n’hésitant pas à frapper sa sœur afin de l’obliger à se marier avec Bucklaw !). Les très beaux décors de Rudy Sabounghi autant que les superbes costumes de Jorge Jara renvoient à un imaginaire raffiné et inquiétant qui, sous son apparat et son clinquant, cache à peine une nature sauvage et menaçante. Une brutalité foncière caractérise de même les principaux personnages, dont les affrontements n’ont rien à envier à certains Westerns de la grande époque. Mais la scène la plus poignante (et violente) reste l’image finale qui montre Edgardo tour à tour se jeter dans la tombe encore ouverte de Lucia, pour une dernière étreinte, avant de se suicider non en se donnant un coup de dague, mais en se jetant dans les flots du haut de la falaise où se trouve le cimetière (photo).

La soprano russe Olga Peretyatko nous avait déçusin loco, dans les quatre rôles féminins des Contes d'Hoffmann, mais avait ensuite brillé à Lausanne dans La Sonnambula de Bellini. Dans le rôle-titre du chef d’œuvre de Gaetano Donizetti, elle est mieux à son affaire, même si la voix s’est considérablement étoffée depuis ses débuts de soprano colorature, ce qui lui permet d’envisager maintenant des rôles plus lourds, chez Verdi notamment. On n'en admire pas moins son incroyable maîtrise stylistique, la beauté d’une voix relativement sombre aux médiums corsés, et une émission possédant toute la fluidité nécessaire pour les exercices acrobatiques de sa partie. Cependant, le suraigu est désormais hors d’atteinte, et tous les contre-sont ici soit esquivés, soit ratés (courts et obtenus à l’arraché). Par ailleurs, si elle possède un physique de rêve, on a également l’impression d’assister à une performance (en ce qui concerne la prestation scénique), davantage qu’à une incarnation supposée toucher le cœur des spectateurs…

Ancien ténor lyrique léger, le ténor espagnol Ismael Jordi a gagné lui aussi en puissance et en projection (comme nous l’avions déjà souligné pour son Percy toulonnais), et négocie ainsi sans la moindre difficulté les passages les plus dramatiques de la partition. La voix sonne toujours aussi claire et saine, et l’intelligence de l’interprète lui permet de se tirer de toutes les situations. La séduction et l’émotion sont, en plus, au rendez-vous, pour un résultat enthousiasmant. Jouant à fond la carte de l’agressivité et de la noirceur, l’excellent baryton polonais Artur Rucinski campe un impitoyable Enrico : sa voix mordante, énergique et riche en harmoniques (sans oublier son incroyable souffle !) lui permet de s’intégrer parfaitement au spectacle. Enfin, la basse chantante de Nicola Ulivieri se glisse avec une belle autorité dans la tessiture de Raimondo, tandis qu’Enrico Casari apporte chaleur et conviction au rôle (plutôt ingrat) d'Arturo, et que Valentine Lemercier incarne une très touchante Alisa.

Tous ces artistes ont la chance de trouver en Roberto Abbado un maestro particulièrement à l’écoute du plateau, capable de surcroît de varier les atmosphères au fil d’une lecture à la respiration ample, et aux tempi relativement lents (mais jamais trop). Le chef italien est l’un des principaux artisans du succès de la représentation, dont il parvient à faire une réussite d’équipe davantage qu’une succession d'exploits individuels.

Un beau début de saison pour l'Opéra de Monte-Carlo !

Emmanuel Andrieu

Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti à l’Opéra de Monte-Carlo, le 22 novembre 2019

Crédit photographique © Alain  Hanel

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