Alors que Tobias Richter vient d’achever dix années de règne au Grand-Théâtre de Genève avec un opéra de Giuseppe Verdi, en l'occurrence Un Ballo in maschera, c’est aussi avec Verdi que le nouveau directeur de la maison suisse, Aviel Cahn, clôt un règne de dix ans particulièrement réussi à la tête de l'Opera Vlaanderen (Opéra de Flandre).
Le metteur en scène allemand Michael Thalheimer fait son entrée sur la scène flamande après avoir déjà abordé le compositeur italien avec Otello à la Deutsche Oper Berlin. Ses propositions radicales ne passent pas inaperçues… et parfois même ne passent pas tout court auprès d’une certaine partie du public et de la critique ! Mais on peut l’annoncer d’emblée : sur tous les plans, la dernière production préparée par Aviel Cahn est une très grande réussite. Scéniquement, la scénographie de Henrik Ahr présente une somptueuse cavité, qui n’est autre que le chaudron maléfique dans lequel les sorcières prédisent un avenir… joué grandeur nature à mesure que l’on y ajoute des ingrédients, comme le sang et la trahison. Les costumes sombres de Michaela Barth et les lumières tamisées de Stefan Bolliger maintiennent l’ambiance noire et glauque du drame, autant que les effusions d’hémoglobine, sur les mains de plus en plus de figurants et de chanteurs à mesure que les morts apparaissent, ou réapparaissent sous forme de spectres... La célèbre scène de la forêt de Birnam est obtenue par des jets de branche de la part de tout le chœur dans le creux du chaudron géant, où se retrouve piégé le roi mal-aimé, bientôt égorgé par Macduff pour rejoindre les Duncan et Banco qu’il a aupravant trucidé ou fait exécuter. La dernière image, celle du fils de Banco, ne rassure pas plus que le reste du spectacle, car le jeune homme, à peine couronné, ouvre une bouche d'où dégouline un magma rouge, vision qui fait écho à une célèbre scène dans le film L’Exorciste… ce qui ne promet rien de bon pour l’avenir !
Beaucoup plus prometteur pour de nombreuses années encore, le Macbeth du baryton étasunien Craig Colclough retrouve le niveau de son Telramund (Lohengrin) entendu sur cette même scène la saison précédente. Si sa projection sonore marque peut-être moins que les graves telluriques du Banco de la basse koweïtienne Tareq Nazmi dans la scène d’ouverture, il ne dispose pas moins de superbes moyens pour donner un caractère psychologique fort à son personnage, notamment lors de son grand air « Pieta, rispetto, amore », chanté sans faste et presque psalmodié comme un Requiem. Mais c’est sa Lady Macbeth qui est bien l’héroïne de la soirée, la mezzo russe Marina Prudenskaya, qui a pris le rôle à Berlin en 2017, après avoir abordé ceux d’Amneris et d’Azucena. Evidemment, qui dit mezzo-soprano pour le rôle dit registre aigu plus tendu, et le contre-Ré bémol de la scène de la folie est ainsi ici occulté (sans grande importance cela dit…), de même que le Brindisi du I avait été un peu plus tôt quelque peu crié sur la fin. Mais l’artiste fascine par le bas du registre, et un médium corsé à souhait, tout comme par sa gestuelle, celle d’une femme-araignée aux mouvements désincarnées, toujours plus assoiffée de sang. Moins convainquant, le ténor ouzbèque Najmiddin Mavlyanov campe sans grande subtilité la partie de Macduff, et passe quelque peu à côté de l’émouvant « Ah, la paterna mano », tandis que Michael J. Scott durcit trop le chant pour le personnage de Malcolm, auquel l’on préfère du coup les interventions parfaitement mesurées de la Dame de Chia Fen Wu, ou celles - multiples mais toujours bien calibrées - de Donald Thomson en Médecin ou encore en Domestique.
Le Chœur de l’Opéra de Flandre démontre une nouvelle fois l’excellent travail de préparation du chef de chœur maison, Jan Schweiger - même si l’on préfère les hommes aux femmes, plus vigoureux dans leurs imprécations, avec un chœur mixte final à même de montrer la « Vittoria ! » du bien sur le mal. Enfin, sous la baguette du chef milanais Paolo Carignani, l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Flandre est un instrument parfaitement aux ordres, exemplaire dans les nuances les plus délicates comme dans les passages les plus spectaculaires.
Vivement le mandat d’Aviel Cahn à Genève, qui débutera avec le génial Einstein on the beach de Philip Glass en septembre… nous y serons à coup sûr !
Macbeth de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Flandre, jusqu’au 6 juillet 2019
Crédit photographique © Annemie Augustijns
26 juin 2019 | Imprimer
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