Dans cette nouvelle production signée par Arnaud Bernard - qui inaugure la saison 14-15 de l'Opéra de Lausanne -, la Manon de Massenet trouve une magnifique illustration dont la présentation sur la seconde scène de la Suisse Romande restitue et même rehausse l'éclat par le raffinement des éclairages (du si talentueux Patrick Méeüs). A Bernard, il faut reconnaître l'immense mérite d'avoir su recréer – avec l'aide de sa costumière Carla Ricotti et de son scénographe Alessandro Camera – l'atmosphère enivrante de la Régence. Chaque scène est perçue comme des tableaux vivants par les spectateurs, tableaux dans lesquels les chœurs et les figurants se figent parfois, dans de saisissants « arrêt sur images », comme pour rendre hommage à Watteau ou Fragonard.
L'affinité du chef espagnol Jesus Lopez Coboz avec l'Opéra français du XIXème siècle est d'emblée perceptible dans la légèreté de touche qui fait d'abord ressortir la spirituelle élégance de contours de la musique, sans négliger ensuite d'en traduire la délicatesse sentimentale et la voluptueuse sensualité, ni de faire passer le frisson de la passion exacerbée dans le tableau de Saint-Sulpice. La qualité des musiciens de l'Orchestre de chambre de Lausanne – dont Lopez Coboz a été le directeur musical de 1991 à 2000 - lui permet d'obtenir sans contrainte cette prestation d'une parfaite pureté stylistique, qui semble aussi stimuler dans le même esprit les chanteurs.
L'héroïne trouve en Anne-Catherine Gillet - magnifique Leila dans Les pêcheurs de perles à Nantes en février dernier - une interprète peu s'en faut idéale, par son potentiel vocal et les nuances musicales qu'elle en tire. Elle tient le public sous le charme par son timbre charnu - agrémenté d'un délicieux vibratello -, ses aigus éblouissants, sans parler de sa séduction féminine. Elle délivre notamment un déchirant « Adieu notre petite table », interprété avec autant de mesure que de contrôle dans la ligne de chant. Nous languissons de l'entendre à nouveau le mois prochain, dans Roméo et Juliette de Gounod à l'Opéra de Monte-Carlo, d'autant que nous profiterons du spectacle pour recueillir une interview de la soprano belge.
Nous retrouvons également avec immense plaisir – après son éclatant Hoffmann à l'Opéra de Lyon la saison passée – John Osborn, qui lui donne la réplique. Le ténor américain campe un Des Grieux au dessus de tout reproche, tant dans le rêve d'un bonheur champêtre que dans les affres de l'abandon et la course à l'abîme où l'entraîne Manon, « Sphinx étonnant, véritable sirène ». Sans vouloir tomber dans l'hagiographie, nous n'hésiterons pas à affirmer qu'Osborn, dans ce répertoire, s'affirme comme un digne successeur d'Alfredo Kraus.
Le baryton français Boris Grappe est le cousin insouciant et fanfaron du livret, aux côtés de Patrick Bolleire, très digne et imposant Comte Des Grieux, Thomas Morris, cocasse et vipérin Guillot, tandis que Marc Mazuir incarne un sobre et élégant De Brétigny. Agaçantes enfin, comme le voulait Massenet, les Pousette, Javotte et Rosette de Céline Mellon, Juliette de Banes Gardonne et Camille Merckx.
La beauté de la production laissait penser que le ballet participerait lui aussi aux festivités du Cours-la-Reine, où il ne parut cependant pas. La version exécutée n'effectue à part cela pas de coupure dans l'ouvrage qui, magnifiquement défendu par les deux rôles principaux et bénéficiant d'une superbe scénographie, suscite l'enthousiasme.
Manon de Massenet à l'Opéra de Lausanne
Crédit photographique © Marc Vanappelghem
17 octobre 2014 | Imprimer
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