Après un coup d’essai réussi l’an dernier, le Festival Lucens Classique confirme ses ambitions avec l’invitation du célèbre Quatuor Modigliani pour son ouverture et de la mezzo franco-suisse Marina Viotti pour sa clôture, les deux concerts étant entrecoupés par la dégustation de mets (toujours préparés par Xavier Bats) et de vins régionaux dans la superbe cour intérieur du Château de Lucens (tandis que les concerts ont lieu dans la salle de justice qui donne sur ladite cour).
Après avoir tenté par deux fois de monter son spectacle « About last light », un one-woman show de cabaret lyrique jusqu’à présent victime du covid, la mezzo parvient enfin, à l’aide de son complice pianiste Didier Puntos, à le performer en entier dans des conditions normales... Quand le public entre dans la salle, il se rend compte avec étonnement que la chanteuse est étendue, les yeux fermés, sous le piano, tandis qu'il prend alors place en arc de cercle autour d’elle et du piano placé devant l’imposante cheminée de la salle de justice (photo). C’est d’abord le pianiste qui prend la parole, s’étonnant de trouver son amie recroquevillée sous son instrument de travail, précisant au public qu’elle est comme ça, son amie, aimant un peu trop faire la fête et boire outre que de raison… C’est alors que le personnage (on ne connaîtra pas son nom, et même si on sent quelques moments vécus, ce n’est pas un biopic de Marina Viotti !) sort de sa léthargie et confesse s'être réveillée à côté d’un inconnu sans le moindre souvenir de sa nuit passée… et elle entonne la chanson « Toothbrush time » de Bolcom. L’histoire de cette femme se dévoile ensuite et défile au travers de multiples pièces vocales, qui se poursuit d'abord avec la fameuse Séguedille extraite de Carmen.
À partir de la situation de départ, le spectacle de Marina Viotti puise ses racines et rend hommage à la comédie musicale (Youkali de Weill), à l’opérette (La Périchole d'Offenbach), à la Mélodie française (« Je te veux » de Satie, « Pour fumer » de Poulenc), au Lied (Mahnung de Schönberg), et à la chanson française (La chanson des vieux amants de Jacques Brel ou La vie d’artiste de Léo Ferré), faisant ainsi cohabiter des univers très différents. Prenant le public à parti (dont deux des organisateurs qui sont ici sa cible, et s’entendent dire qu’ils ne sont "ni beaux ni riches" - le fameux air de La Périchole…), elle l'inclue dans certaines situations en même temps que le pianiste Didier Puntos qui donne avec beaucoup d’humour et de naturel la réplique à la chanteuse / actrice qui alterne, dans ce spectacle original, moments d’humour et fortes émotions, avec son habituelle élégance, son « chien », sa sensibilité à fleur de peau - qui culmine avec le célébrissime « Feeling good » de Nina Simone. Ce dernier morceau tire du public, debout, des salves d’applaudissements et fait naître des sourires sur tous les visages. Magie et spécificité de ce festival, c’est ensuite autour d’agapes sucrées et de boissons chaudes (après les mets salés d'avant spectacle) que l’on peut aborder la chanteuse, d’une disponibilité totale pour son public, et d’une énergie et joie de vivre aussi communicatives dans la vie que sur scène.
Pour la petite histoire, c’est entre deux répétitions du Barbier de Séville aux Arènes de Sanxay dans le Poitou qu’elle a fait le voyage jusqu'en Suisse, et ceux qui l’aiment (comme nous) pourront ainsi prendre le train pour l’y applaudir les 9, 11, et 13 août (aux côtés notamment de Florian Sempey et Paolo Bordogna) !
Cabaret Lyrique/One woman show par Marina Viotti au Festival Lucens Classique, le 31 juillet 2022
Crédit photographique © Emmanuel Andrieu
05 août 2022 | Imprimer
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