C’est avec une grande émotion que nous retrouvions – dix-neuf ans après avoir assisté à sa création in loco – la légendaire production de Lucia di Lammermoor signée par Nicolas Joël (alors maître des lieux), aidé par le fidèle Ezio Frigerio pour la scénographie, toute en grandeur et classicisme. Au lieu de rentrer dans le cœur du drame de Lucia, folle par amour dès « Regnava nel silenzio » et qui se débat tout au long de l’opéra comme un papillon pris au piège, le scénographe italien a préféré s’enivrer d’un jardin des 1001 nuits, d’églises monumentales et de demeures d’un luxe écrasant, plus proches de Hampton Court que du modeste manoir d’Ashton, obligé de vendre sa sœur pour redorer et redresser sa fortune. Dans cette débauche effrénée, encore soulignée par les magnifiques costumes de Franca Squarciapino, dignes d’un défilé de mode, Nicolas Joël (présent en cette soirée de Première, tandis que la reprise a été assurée par Stéphane Roche) ne pouvait pas jouer la carte de la tragédie et du crime, de la trahison et de la mort. Mais avec beaucoup de métier, il confère à ses solistes l’allure romantique chère à une certaine tradition, en respectant bien l’esprit de l’ouvrage.
S’il y a bien un opéra où le rôle-titre appelle une artiste dotée d’une aura exceptionnelle, c’est bien celui-ci… Une Lucia à cocottes n’intéresse plus, aujourd’hui, que les nostalgiques de Mado Robin, et l’on sait désormais également que la fiancée de Lammermoor n’est pas un robot, mais possède une âme ! Bouleversante Comtesse sur cette même scène la saison passée, Nadine Koutcher livre une interprétation très personnelle et vocalement captivante de l’héroïne donizettienne : précision technique, intuition stylistique, investissement dramatique, demi-teintes raffinées… on ne sait qu’admirer le plus. L’émotion transparaît derrière le moindre accent ou le moindre trait de virtuosité, et sa scène de folie provoque un incroyable enthousiasme parmi le public : on peut affirmer que les héroïnes pathétiques du belcanto romantique ont ainsi désormais une titulaire idéale en la personne de la soprano biélorusse ! Le jeune ténor russe Sergey Romanovsky campe un Edgardo fougueux et au phrasé de bonne école, mais il a tendance à se cantonner dans le mezzo forte/forte, et sa prestation aurait gagné à plus de contrastes dynamiques. Même s’il succombe parfois à la tentation de grossir l’émission, l’excellent baryton ukrainien Vitaliy Bilyy offre une parfaite réplique à Koutcher dans leur duo, un des climax de la représentation. Un peu gris de timbre, Maxim Kuzmin-Karavaev est un Raimondo digne et musical, face au percutant Arturo du ténor moldave Florin Guzga, et à l’Alisa très présente de la mezzo française Marion Lebègue (que nous retrouvions avec plaisir après son superbe Smenton (Anna Bolena) en début de saison à l’Opéra de Marseille).
L’équipe vocale a la chance de trouver en Maurizio Benini un maestro particulièrement à leur écoute, capable de surcroît de varier les atmosphères au fil d’une lecture à la respiration ample. Le chef italien est l’un des principaux artisans du succès de la soirée, dont il parvient à faire une réussite d’équipe davantage qu’une succession de performances individuelles. Signalons enfin l’excellente prestation du Chœur du Capitole, toujours aussi soigneusement préparé par Alfonso Caiani.
Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti au Théâtre du Capitole, jusqu’au 30 mai 2017
Crédit photpographique © Patrice Nin
Commentaires