Comme nous l’évoquions dans notre recension, La Cambiale di matrimonio mis en scène par Laurence Dale est le seul titre lyrique du Rossini Opera Festival à avoir été conservé, aux côtés de l’annuel Voyage à Reims distribué à de jeunes chanteurs issus de la fameuse Accademia rossiniana. Ce sont donc à des récitals des plus illustres gosiers de la planète, ayant fait pour la plupart leurs premières armes à Pesaro, que les festivaliers ont eu surtout l’heur d’assister, parmi lesquels Karine Deshayes, Juan Diego Florez, Jessica Pratt ou encore Olga Peretyatko (nous reviendrons sur ce concert). Le 10 août sur la Piazza del Popolo où se sont déroulés tous les récitals en plein air, c’est un grand habitué du ROF que nous avons retrouvé, le baryton italien Nicola Alaimo. Le natif de Palerme, qui s'est installé dans la ville de Rossini il y a une dizaine d'années maintenant, a enchanté les spectateurs avec un récital ambitieux et chaleureux, en tous points conforme au personnage. L’amplification discrète n’a rien filtré des effets d’une des grandes voix de notre temps, dont la pureté d’émission, impressionnante surtout dans le medium, et la capacité à se lover dans différents styles musicaux, ont permis au concert de tutoyer les sommets. Le seul bémol de la soirée sera à mettre au débit du chef, l'Italien Alessandro Bonato, qui offre un accompagnement seulement moyen, les Sinfonie de L’Italienne à Alger, du Barbier de Séville, de Cosi fan tutte, de Luisa Miller, ou encore de la rare Gina (de Francesco Cilea) exécutés par la Filarmonica Gioacchino Rossini servant tout au plus de plages de repos au chanteur.
Il débute le récital avec une aria de basso buffo, « Gia d’insolito ardore », extrait de L’Italiana in Algeri, lui permettant de chauffer sa voix et de mettre en place son aigu. La suite, ambitieuse, est une collection d’airs du grand répertoire, non seulement rossinien comme il se doit en ces lieux, mais aussi verdien et vériste, présentant toute la palette d’émotions et de technique mêlées que le baryton palermitain est capable de mobiliser aujourd’hui : le sillabato brillantissime de « A un Dottor della mia sorte » de Bartolo, l’éclat des aigus de la cavatine de Figaro, mais aussi le caméléonesque jeu sur les accents linguistiques de l’air de Don Profondo dans Il Viaggio a Reims, qui égalent les plus hautes références (Ruggero Raimondi en ces mêmes lieux...), pour rester dans le périmètre du cygne de Pesaro. La transition vers un répertoire plus récent se fait par le détour d’un moment mozartien, où le « Fin ch’han dal vino » extrait de Don Giovanni et le « Non piu andrai » des Nozze restent dans une veine brillante, parfaitement exécutés.
Avec l’aria de Dulcamara, « Udite, o rustici », Nicola Alaimo prend un plaisir certain à incarner le fameux charlatan de L'Elixir d'amour avec force mimiques qui mettent le public dans sa poche : sa jubilation se communiquant aisément. Mais c’est sans doute dans le répertoire plus dramatique de Verdi et de Cilea qu’il épate le plus, par contraste. Le sommet de la soirée est ainsi l'air de Germont dans La Traviata, un « Di Provenza il mar » anthologique, sussuré al fior di labbra, débuté piano, avec d'infimes nuances : tout simplement sublime ! Le « Credo » de Iago issu de l’Otello de Verdi, qui le suit, n’est pas moins éblouissant : le jeu sur les regards, les silences, avant la terrible phrase « La morte è Nulla ! » qui précède l’explosion finale (« E vecchia fola il Ciel ») glace les sangs du public tout autant que les arie rossiniennes l'avait réjoui. Et c’est là l’évidence la plus marquante : effrayant, émouvant, jubilant, le baryton sicilien nous happe par sa capacité à incarner tous les affects en quelques secondes, nous laissant pantelants, comme après l’arioso de Michonnet (« Ecco il monologo ») extrait d’Adriana Lecouvreur, d’une saveur douce-amère dans le dépit amoureux assumé et ravalé. L'air « Nemico della Paria » tiré d’Andrea Chénier n’en est pas moins impressionnant, qui esquisse avec une finesse douloureuse la nostalgie de la pureté chez le serviteur devenu exécuteur des basses œuvres révolutionnaires.
Devant le décor projeté sur la place, Nicola Alaimo n’a besoin que d’une fiole (photo), d'un cahier, d'une chaise ou d'un pupitre, pour donner vie à ses différents personnages et les incarner totalement : l’expressivité de son visage, ou une main levée, suffisent pour que la magie opère ! Et le magicien-caméléon termine la soirée par un bis non préparé (dit-il...), le célèbre Air de la Calomnie extrait du Barbiere – qui lui vaut un nouveau tonnerre d'applaudissements.
Quelle soirée !
Nicola Alaimo en récital au Rossini Opera Festival de Pesaro, le 10 août 2020
Crédit photographique © Studio Amati Bacciardi
20 août 2020 | Imprimer
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