En même temps qu'une nouvelle production de La Juive de Halévy (confiée à Calixto Bieito), – spectacle phare du Festival d'été de Munich (diversement apprécié) – était reprise une ancienne production maison de la Turandot de Giacomo Puccini, signée par Carlus Padrissa, l'un des trois autres trublions de la fameuse compagnie catalane de La Fura dels Baus.
Carlus Padrissa transpose l'action en 2046, alors que la Chine – suite à la crise que nous connaissons actuellement – a sauvé l'Europe de la ruine... pour lui imposer ensuite son joug en attendant qu'elle lui rembourse les sommes investies. Dès lors, Turandot est présentée comme une dictatrice sans foi ni loi, tandis que Liu représente la Chine éternelle, aimable et ouverte (sorte de ying et de yang quoi...). Si les techniques d'exécution sont antiques (coupage de têtes et empalement de corps sur des bambous pointus), le reste de la machinerie est lui high-tech et futuriste (à l'instar des costumes conçus par Chu Uroz), avec notamment un immense œil (celui de Big Brother ?) en forme de turbine (décor de Roland Olbeter), dont les pourtours acérés servent de support à des images en 3-D (signées Franc Aleu), et qui nécessitent des lunettes spéciales, généreusement fournies à l'entrée de la salle, mais dont l'utilisation parasite souvent l'écoute. Pour symboliser le cœur de glace de Turandot, la plupart des scènes se déroulent sur une patinoire où viennent s'ébrouer patineuses artistiques, hockeyeurs, pom-pom girls, danseurs de hip-hop - et autres acrobates - dans un continuum incessant qui porte là aussi préjudice à la musique. Et donc, comme souvent avec un des membres de la Fura dels Baus, Padrissa impose à un ouvrage lyrique un univers qui relègue aux oubliettes librettistes et intentions du compositeur, à l'instar d'une autre production de Turandot, signée par Calixto Bieito pour le Théâtre du Capitole l'an passé. Plus étonnant de sa part, la direction d'acteurs – la plupart du temps au cordeau avec la Fura – s'avère complètement relâchée sur ce spectacle, chœur et solistes chantant très souvent en rangs d'oignons, face à l'auditoire, sur le devant de la scène... Au final, le seul point à mettre au crédit de cette production est de faire finir le chef d'œuvre de Puccini là, où, à sa création à La Scala de Milan en 1926, Arturo Toscanini posa sa baguette : c'est à dire après la mort de Liù, laissant ainsi de côté le finale conçu par Franco Alfano, qui est généralement joué (quand on ne lui substitue pas celui composé par Luciano Berio, comme proposé à Nice la saison dernière).
Dans le rôle-titre, la magnifique soprano suédoise Nina Stemme fait valoir son habituelle voix rayonnante, au timbre clair et tranchant, qui continue de franchir l’orchestre avec une facilité déconcertante, en assurant à son personnage l’autorité exigée par lui, mais avec infiniment plus de grâce et de féminité que les (rares) autres titulaires du rôle. Elle remporte un incroyable triomphe personnel au moment des saluts. Dans le rôle de Calaf, le ténor sud-africain Johan Botha est maître d'une palette vocale aux teintes chaudes, mais tous les aigus sont pris par en dessous, et l'acteur se montre toujours aussi empêché par son imposant physique.
Dotée d’une voix plus large que la plupart des Liù entendues ici ou là, la soprano russe Irina Lungu (pour Maria Agresta initialement annoncée) n’en offre pas moins un étonnant éventail de pianissimi et de sons filés, offrant un bouleversant portrait de l‘esclave tatare. Dans le rôle de Timur, la basse croate Goran Juric incarne toute la noblesse et la souffrance du roi déchu, aux côté de l’Altoum du ténor bavarois Ulrich Ress, soucieux de sa ligne, ce qui nous évite la traditionnelle caricature du vieil empereur à la voix fatiguée. Quant au trio Ping-Pang-Pong (Andrea Borghini, Kevin Conners et Matthew Grills), il assure tout ce qu’il faut de cocasserie et de connivence joyeuse à leur impayable numéro.
A la tête d’un Bayerisches Staatsorchester dans une forme olympique, le chef israélien Asher Fisch – qui fait presque partie des murs de l'institution bavaroise - privilégie un phrasé orchestral d’une clarté et d’une transparence exemplaires, avec un remarquable sens du détail, et ces abandons si typiques de l’écriture puccinienne. Enfin, le Chœur de la Bayerische Staatsoper, formidablement préparé par Sören Echoff, il offre une performance que l'on doit qualifier d'admirable.
Turandot de Giacomo Puccini à la Bayerische Staatsoper de Munich, le 7 Juillet 2016
Crédit photographique © Wilfried Hösl
09 juillet 2016 | Imprimer
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