Comment mettre en scène Norma lorsqu'on est des réalisateurs allemands qui se piquent de trouver une idée de dramaturgie suffisament forte pour transposer le spectacle au XXe siècle ? Le duo Sergio Morabito/Jossi Wieler – directeurs de l'Opéra de Stuttgart d'où provient cette production qui y a été étrennée en 2002 – choisit d'ancrer l'action en plein milieu de la deuxième guerre mondiale, Oroveso se retrouvant propulsé chef d'un groupe de résistants dont Norma est la pasionaria. La druidesse vit dans une église abandonnée - parois lépreuses sur lesquelles courrent des cables electriques - unique élément de décor pendant les deux actes, conçu par Anna Viebrok, la fidèle scénographe de Chistoph Marthaler, qui signe également les costumes, tout aussi moches. Parmi les élucubrations de la soirée, citons la scène du rituel du gui, pendant laquelle on emmène à Norma un cadavre sur un lit d'infirmerie, dépouille qui a miraculeusement donné vie au précieux arbuste, et au dessus de laquelle Norma exécute son office... Dire qu'une partie du public a osé conspuer les auteurs de cette sublime actualisation/réinterprétation du sujet ! Trêve de plaisanterie : la stupidité de la réalisation scénique est tout simplement scandaleuse, et témoigne d'un réel mépris envers le chef d'œuvre de Bellini, qui est tout de même en droit d'attendre qu'on le traite avec plus de respect !
Tout autre est le climat musical. Le chef allemand Will Humburg prend très au sérieux l'instrumentation du compositeur sicilien – il était encore récemment directeur général et artistique du Teatro Massimo Bellini de Catane, ville natale de Bellini – et dirige la partition avec une précision qui n'exclut nullement la flexibilité du rythme ou la richesse de l'expression. Le délicat équilibre entre les vents et les cuivres est par ailleurs réalisé ici avec un maximum d'éloquence par l'Orchestre du Teatro Massimo, tandis que le chœur maison assure, à chacune de ses interventions, noblesse d'accent et précision dans les attaques.
Impressionnante Abigaille en mars dernier au Grand-Théâtre de Genève, la soprano hongroise Csilla Boross aborde cet autre emploi écrasant qu'est Norma avec sa voix superbement timbrée et magnifiquement large, sans abuser pour autant de ses inépuisables réserves ; ainsi « Casta diva » est-il abordé pianissimo, tout comme le début du finale. Les éclats dramatiques lui permettent par contre de faire montre de moyens insolents, dont seuls quelques aigus arrachés trahissent les limites. Nous goûtons également chez la cantatrice le souci constant des nuances, dans un mélange irrésistible d'intensité et de dignité. Assurément une grande Norma.
Sa consoeur italienne Annalisa Stroppa – qui nous avait été révélé, quant à elle, dans le rôle-titre de Carmen à Limoges deux mois plus tôt – s'avère une Adalgisa tout aussi éblouissante : ligne de chant au profil impeccable, étoffe vocale chatoyante, jusque dans un aigu charnu autant que péremptoire, précision dans le chant orné. Autant de qualités vocales qui, pour la partie scénique, accentue le caractère décidé de la jeune prêtresse qui rejette Pollione avec fermeté lorsqu'elle découvre la vérité. Notons enfin que les voix des deux héroïnes s'accordent idéalement - en s'exhalant avec abandon - dans leurs deux longs et magnifiques duos.
Quant au ténor vénézuelien Aquiles Machado, il réussit à transformer Pollione, rôle ingrat par essence, en un véritable protagoniste, au chant lumineux et vibrant. Marco Spotti, enfin, est un Oroveso à la voix trop peu présente, souvent couverte par l'orchestre, alors que Patrizia Gentile (Clotilde) et Francesco Parrino (Flavio) complètent très honorablement la distribution.
Une soirée (heureusement) sauvée par les voix et la musique...
Norma au Teatro Massimo de Palerme
Crédit photographique © Studio Room
28 juin 2014 | Imprimer
Commentaires