C’est une belle initiative à saluer que celle de la Région Sud (PACA) qui, sous son égide (et surtout ses efforts financiers...), a réussi à fédérer les forces des quatre opéras émaillés sur son territoire (Marseille, Nice, Toulon et Avignon) pour offrir à leurs publics une réalisation lyrique confiée au metteur en scène star Olivier Py, qu’aucune des quatre maisons n’aurait pu s’offrir seule… Le choix du premier titre de cette nouvelle collaboration (qui sera suivie par une deuxième dès la saison 2021/22) s’est porté sur La Dame de pique de Piotr Ilitch Tchaïkovski, un des plus dramatiques de tout le répertoire et une œuvre qui ne pouvait que « parler » au célèbre homme de théâtre français. De fait, c’est de loin la plus sombre, macabre et désespérée production du chef d’œuvre du maître russe à laquelle il nous ait été donné d’assister : une société totalement pervertie et pourrie, gangrenée par la mort qui rôde partout (avec moult renforts de crânes disséminés ici ou là). La scénographie est déplacée dans une Saint-Pétersbourg contemporaine dont les barres d’immeubles sans âme apparaissent à intervalles réguliers derrière l’imposant décor imaginé par le fidèle Pierre-André Weitz montrant, lui, l’intérieur d’un palais lugubre dont toutes les vitres ont été brisées (photo). Dans ce décor sinistre évolue de manière quasi omniprésente un danseur/comédien (formidable Jackson Carroll !) qui est tour à tour double du héros ou de la Comtesse, mais aussi l’incarnation de Tchaïkovski lui-même, dont on sait qu’il fut poussé au suicide à cause de son « sale petit secret » (le mot est de la baronne Nadejda von Meck, sa principale mécène…), à savoir son homosexualité. Comme à son habitude, Olivier Py a tendance à en faire un peu trop avec la composante sexuelle justement : pendant la fameuse polonaise, l’on voit la grande Catherine II de Russie se faire sodomiser par deux singes, dans une scène aussi énigmatique que dispensatoire. Cela lui vaut d’ailleurs une belle bronca dès le premier baisser de rideau à l’entracte...
La distribution fait preuve d’un bel engagement et d’une confondante justesse de ton, à l’exception peut-être du baryton russe Alexander Kasyanov, guère marquant dans le rôle de Tomsky. Mais les accents vibrants et veloutés de la mezzo française Eva Zaïcik, comme la rondeur affable du chant conquérant du baryton roumain Serban Vasile, soulignent toute l’importance de Pauline et d’Eletski, rôles pas si secondaires que cela. La soprano russe Elena Bezgodkova campe une Lisa radieuse, d’abord touchante de passion retenue, puis bouleversante de fragilité quand la réalité s’impose à elle. Quant au Hermann de son compatriote Oleg Dolgov, déjà entendu dans le rôle à l’occasion des premières Musicales franco-russes l’an passé, il s’impose à nouveau par son timbre et son chant valeureux. Il offre des aigus parfaitement assurés, sans trace d’effort apparent, et ce tout au long de la soirée. Comme cassée par les ans, la pourtant jeune encore mezzo française Marie-Ange Todorovitch illustre de manière hallucinante la « sorcière » décrite par Pouchkine, avec un timbre profond et voluptueux comme on en entend rarement dans ce rôle confié d’habitude à des chanteuses en bout de course, recourant à un Sprechgesang plus ou moins expressif. Enfin, les comprimari remplissent correctement leur tâche, avec une mention pour le Sourine de Nika Guliashvili, tandis que les chœurs conjugués des Opéras de Nice et Toulon fusionnent parfaitement.
Enfin, l’Orchestre Philharmonique de Nice s’impose à l’attention de l’auditeur. Mais son directeur musical, le chef hongrois György G. Rath, loin d’exalter le lyrisme de la partition, surprend par la sécheresse de sa lecture et la lenteur de ses tempi. Rarement la musique de Tchaïkovski aura sonné aussi peu avenante, en parfait accord cela dit avec les partis pris de la mise en scène d’Olivier Py.
La Dame de pique de Piotr Ilitch Tchaïkovski à l’Opéra de Nice, jusqu’au 5 mars 2020 (puis les 24, 26 et 28 avril à l’Opéra de Toulon)
Crédit photographique © Dominique Jaussein
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