Alors que beaucoup jugeaient l’éventualité improbable (nous connaissons des collègues qui se sont accrochés à leurs préjugés et n’ont pas voulu faire le déplacement…), Patrizia Ciofi parvient à relever le défi de chanter « le rôle des rôles », Norma de Vincenzo Bellini, cheval de bataille d’illustres devancières, de Maria Callas à Joan Sutherland, et de Montserrat Caballé à June Anderson. Il faut ici remercier l’Opéra Royal de Wallonie – et son directeur Stefano Mazzonis Di Pralafera – d’avoir cru en elle, et d’avoir « osé » lui confier cette prise de rôle, qui est comme un accomplissement dans toute carrière de chanteuse lyrique. Si la diva toscane rend justice à la partition de Bellini, c’est d’abord parce que la voix s’est ombrée avec le temps, a gagné en ampleur, mais en gardant sa légendaire souplesse, qui lui permet de triompher dans les passages d’agilité, où les organes plus larges s’en tiennent à des approximations prudentes. Mais Norma est aussi un personnage complexe, dont la voix laisse passer une multitude d’affects, du plus sensible au plus impérieux. Une échelle psychologique que Ciofi investit au plus haut point, en se fondant littéralement dans le rôle, et si les explosions de colère périodiques de la prêtresse bafouée manquent peut-être parfois d’impact (c’est-à-dire de puissance et de graves), elle émeut dans un « Casta Diva » habité, et bouleverse, un peu plus tard, dans une scène finale qui restera gravée dans les mémoires.
Partenaire de la chanteuse sur cette même scène dans Luisa Miller (Verdi) il y a trois ans, le ténor américain Gregory Kunde continue d’émerveiller par la conjugaison – à l’âge de 63 ans – d’une voix éclatante de puissance et d’une technique belcantiste accomplie : vaillant mais jamais braillard, capable de sortir un contre-ut sans le craquer, d’orner la reprise de sa cabalette, et de chanter piano dans le trio avec Norma et Adalgisa. Dans ce dernier emploi, la mezzo sicilienne José Maria Lo Monaco possède un grave puissant qui menace parfois les duos avec Ciofi, mais lorsque l’interprète se retient quelque peu, elle parvient à déployer les sortilèges d’un chant fluide et nuancé, qui convient particulièrement bien à la personnalité de la jeune prêtresse amoureuse. La basse italienne Andrea Concetti, enfin, est un Oroveso à la voix grise et trop peu présente, souvent couverte par l'orchestre, alors que Réjane Soldano (Clotilde) et Zeno Popescu (Flavio) complètent très honorablement la distribution.
Dans sa mise en scène, l’italien Davide Garattini Raimondi organise, avec une discipline souvent militaire, les déplacements des choristes, et privilégie, pour ses solistes, des poses néoclassiques délibérément conventionnelles. Certes, il n’y a là rien de révolutionnaire, mais l’opéra parle assez de lui-même pour ne pas avoir à s’embarrasser de gloses superflues (ce que sont, en revanche, les incessants et inutiles ballets qui viennent souvent gâcher - en le phagocytant - le plaisir du chant !). Dommage, également, que les costumes (hétéroclites) soient si laids, les maquillages ridicules, et les éléments de décors d’un autre âge... hormis le très beau bas-relief qui occupe la partie basse de la scénographie, et qui n'est autre qu'une réplique démultipliée du Grand sarcophage Ludovisi, représentant des scènes de combat entre soldats romains et barbares (photo).
De son côté, le chef italien Massimo Zanetti – à la tête de l’Orchestre Royal de Wallonie-Liège (et de chœurs maisons pas toujours soudés ce soir…) – fait avancer la musique sans jamais la précipiter, aide en permanence les chanteurs, et obtient de la phalange wallone une réponse enthousiaste… sentiment bruyamment manifesté par un public surchauffé au moment des saluts !
Norma de Vincenzo Bellini à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 4 novembre 2017
Crédit photographique © Lorraine Wauters
30 octobre 2017 | Imprimer
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