Régulièrement invité à l'Opéra National du Rhin – il a mis en scène ici-même Louise en 2009, Hamlet en 2011, Les Pêcheurs de perles en 2013 et L'Amico Fritz en 2014 -, Vincent Boussard signe une production de La Traviata de Giuseppe Verdi où l'on retrouve son goût pour un esthétisme « léché », de même que l'on retrouve une scénographie au décor unique - signée par le fidèle Vincent Lemaire -, ici un grand miroir concave qui renvoie l'image déformée d'une société engoncée dans ses calculs, ses mesquineries et ses faux semblants, tandis qu'un poétique piano trône au centre de la scène, piédestal (déjà utilisé dans Les Pêcheurs de perles cela dit) sur lequel vient expirer Violetta au III. Autre idée forte – mais déjà vue ailleurs aussi... -, celle de faire apparaître, aux moments clés du drame, une petite fille qui n'est autre que l'héroïne enfant, alors immaculée et joliment rêveuse dans sa belle robe blanche. Comment ne pas mentionner, justement, les magnifiques costumes – très raffinés et très XIXe - du créateur de mode star qu'est Christian Lacroix, un régal continu pour la rétine du spectateur.
Contre toute attente, c'est la première fois que la soprano italienne Patrizia Ciofi se produisait sur la scène de l'Opéra National du Rhin... pour ce qui risque malheureusement d'être sa dernière incarnation scénique de la célèbre courtisane, comme elle nous l'a confié à l'issue de la représentation... Pour notre part, c'est la cinquième fois que nous l'entendions dans ce personnage, et le charme a opéré comme jamais, grâce à sa totale maîtrise du rôle. Attentive aux colorations comme à la projection juste, jamais elle ne sacrifie l’intensité dramatique à la virtuosité et, comme toujours, elle fait valoir son timbre lunaire unique, ses pianissimi éthérés et ses habituels accents pénétrants. Par ailleurs, son phrasé extrêmement varié et son art subtile des clairs-obscurs font merveille dans le bouleversant « Addio del passato ». Au regard de toutes ces qualités, la Violetta de Patrizia Ciofi continue de s’inscrire parmi les plus accomplies de notre temps, et on ne peut que regretter le fait que Strasbourg constitue certainement ses adieux au rôle...
De son côté, le ténor italien Roberto De Biasio incarne un Alfredo plus convaincant vocalement que scéniquement, mais si le jeu s'avère bien gauche et si on est loin de l'urgence et de l'ardeur attendues chez ce protagonniste, force est de reconnaître que le timbre possède une réelle séduction, et que la voix offre un beau phrasé à défaut de puissance. Quant au baryton québécois Etienne Dupuis – présent dans Les Pêcheurs de perles rhénans –, il a pour lui la musicalité, la juste adéquation stylistique, et surtout un formidable sens du legato qui lui permettent de donner à Germont père toute sa force et son impact dramatique, notamment dans le fameux air « Di Provenza il mar », et jusque dans la périlleuse cabalette qui lui succède, « No, non udrai rimproveri », pour une fois non coupée...
Malgré une carence de dynamisme au premier acte, l'ancien directeur musical de l'Opéra Royal de Stockholm Pier Giorgio Morandi mène ensuite fort bien le reste de la partition, soucieux de trouver des couleurs et des tempi aussi fluctuants que les situations du drame, par ailleurs parfaitement suivi par un Orchestre Philharmonique de Strasbourg dans une belle forme et par un chœur maison également impeccable.
Le public très international de Strasbourg a réservé une longue et très nourrie ovation à Patrizia Ciofi, de manière on ne peut plus méritée !
La Traviata de Giuseppe Verdi à l'Opéra National du Rhin, jusqu'au 27 décembre 2015 à Strasbourg, puis les 8 & 10 janvier 2016 à Mulhouse
Crédit photographique © Alain Kaiser
16 décembre 2015 | Imprimer
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