Pour sa première mise en scène à l'Opéra Nice Côte d'Azur depuis qu'il en a pris, en 2012, la direction artistique, Marc Adam – qui vient de nous accorder une interview – remporte une vraie victoire. D'éclatante manière, l'homme de théâtre nous démontre que Peter Grimes de Benjamin Britten, soixante-dix ans après sa création au Sadler's Wells de Londres, n'a rien perdu de sa force dramatique : les mots du texte de Montague Slater ont certes un peu vieilli, mais la musique demeure aussi puissante et originale qu'en 1945, au service d'une histoire singulièrement prenante.
L'absence d'indication de lieu dans les décors sobres et plutôt abstraits de Roy Spahn – pas de bateaux, pas de filets de pêche, seulement quelques rangées de chaises pour évoquer le Moot Hall – peut dérouter de prime abord. La vision de Marc Adam confère pourtant à l'œuvre très britannique de Britten une portée plus universelle que celle de Graham Vick par exemple, souvent hystérique, vue à l'Opéra Bastille il y a quelques saisons. Adam et Spahn recréent une atmosphère de petite ville particulièrement oppressante où Grimes se retrouve violemment en conflit avec la majorité du bourg, majorité moralisatrice, soupçonneuse, médisante et étroite d'esprit. Il conviendra de mentionner également les superbes images vidéo de Paulo Correia qui offrent aux Interludes un support visuel d'un fort impact : magnifiques images de mer houleuse, et de paysage côtier balayé par la tempête.
Dans le rôle-titre, John Graham-Hall est une révélation. Son Peter Grimes, étudié, travaillé, peaufiné (très éloigné en cela de celui de Jon Vickers, qui reste la référence absolue dans cette partie) fait lui aussi - mais par d'autres chemins et moyens - mouche. La démarche, le port de tête, l'allure, le maintien du ténor britannique rappellent la brute épaisse, butée, violente, qui, à ses heures perdues, touche au crime mais sait aussi hurler sa douleur et pleurer. Comment ne pas songer au Lennie de John Steinbeck, car Graham-Hall évoque en plein le héros de Of Mice and Men, faisant ainsi basculer les idées reçues. Spontané, rugueux, tendre et passionné, urgent, d'un aplomb scénique étonnant, il multiplie les défis mais reste de bout en bout diminué. Du côté vocal, il n'éprouve aucune difficulté dans la tessiture redoutablement aiguë de « Now, the Great Bear and Pleiades », le grand et sublime solo de Grimes : c'est beau, c'est émouvant, c'est magistral !
De son côté, la soprano française Fabienne Jost chante le rôle d'Ellen Orford avec une voix chaude et riche, ainsi que des accents particulièrement éloquents. Bonne comédienne, elle fait parfaitement ressortir le côté maternel et la clémence du personnage, se montrant particulièrement touchante dans la scène finale, où la maîtresse d'école se voit obligée de céder à ses terrifiants voisins. Vincent Le Texier – dont on apprécie depuis longtemps la présence et la conviction – rend pleinement justice à l'humanité de son personnage, avec un Captain Balstrode d'une vraie générosité et à l'autorité indiscutable. La mezzo allemande Manuela Bress est parfaite en Auntie, tant vocalement que dans l'allure, entourée de deux nièces plutôt sexy (Hélène Le Corre et Ann Ellersiek). Sophie Fournier fait de la sinistre Mrs Sedley un véritable personnage, sans tomber dans la caricature. Citons encore le Bob Boles bien chantant d'Edward Mout, le pompeux Révérend de Frédéric Diquero, le Swallow concupiscent d'André Cognet, le Ned Keene cynique de Bernard Imbert, le Hobson aux graves profonds de Thomas Dear, sans oublier l'Apprenti du jeune Marius Jeannel, qui interprète son personnage avec une rare conviction.
Directeur du Santa Rosa Symphony Orchestra (en Californie), le chef originaire de Nice Bruno Ferrandis semble avoir noué des liens solides avec l'Orchestre Philharmonique de Nice, cela s'entend dans les quatre superbes et fameux Sea Interludes, où les sonorités de la phalange provençale tiennent du miracle. Une mention spéciale enfin pour l'excellent Chœur maison, magnifiquement dirigé par Giulio Magnanini, et en très grande voix ce soir. Leurs cris « Peter Grimes ! Peter Grimes ! » emplissent la salle avec une plénitude parfaitement contrôlé et font passer un frisson que le public niçois n'est pas prêt d'oublier.
Peter Grimes de Benjamin Britten à l'Opéra Nice Côte d'Azur - Les 18, 20, 22 & 24 janvier 2015
Crédit photographique © Dominique Jaussein
26 janvier 2015 | Imprimer
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