Après avoir mis en miroir des ouvrages en un acte de Puccini avec des opéras allemands (courts) qui leur étaient contemporains, il y a deux saisons, le festival de printemps organisé chaque année (depuis dix ans maintenant) par l'Opéra national de Lyon jette cette fois un éclairage sur l'œuvre du grand compositeur anglais Benjamin Britten (qui aurait eu cent ans il y a quelques mois) à travers trois de ses ouvrages emblématiques : Peter Grimes, The Turn of the screw et Curlew River. C'est Peter Grimes, son premier chef d'œuvre (1945), qui a ouvert ce Festival Britten - et suscité un incroyable engouement auprès du public, qui s'est soldé par une intense et frénétique ovation au rideau final.
Déjà signataire in loco, en 2008, d'une production très remarquée de Mort à Venise (du même Britten), c'est au metteur en scène japonais Yoshi Oida que Serge Dorny - directeur de la maison lyonnaise - a fait appel pour mettre en scène ce fascinant opéra. On y retrouve la même idée de départ qu'il y a six ans, celle d'annoncer le dénouement tragique de l'histoire pendant l'ouverture : on y voit ainsi le Capitaine Balstrode apporter à Grimes la massue qui lui servira à faire couler son embarcation au large, à la toute fin de l'ouvrage... La seconde scène met en exergue les chœurs - dont le rôle est particulièrement écrasant dans Peter Grimes -, placés dans les balcons surplombant la fosse, qui font immanquablement penser à un jury de tribunal. Dès le début de l'enquête, Yoida impose ainsi le tableau d'une société soupçonneuse, repliée sur elle-même et sans pitié pour celui qui refuse de suivre ses règles. Le drame se concentre ensuite dans un espace ingénieusement délimité par le jeu de containers - assemblés comme des legos, et figurant tour à tour la place du village ou la maison de Grimes -, mais néanmoins ouvert, où les individus, comme la communauté, sont poussés dans leurs derniers retranchements.
Le ténor britannique Alan Oke – qui incarnait Aschenbach dans la production lyonnaise de Mort à Venise – campe un Grimes fruste et attachant qu'accable la fatalité. Il met ainsi l'accent sur la fragilité, la névrose et la paranoïa d'un être refoulé, aux personnalités multiples, ne parvenant pas à maîtriser son côté violent. Vocalement, il s'avère convaincant (notamment dans la scène finale), même s'il « plafonne » quelque peu dans la tessiture aigüe de l'évocation de la Grande Ourse et des Pléiades, dont il traduit néanmoins admirablement le lyrisme et la poésie. Michaela Kaune - qui avait magnifiquement défendu le rôle-titre de Fidelio ici même l'an passé - est une excellente Ellen Orford. Soucieuse de beauté lyrique, avec une ligne mélodique très pure et un legato soigné, elle donne toute sa force d'émotion à la scène où elle trouve le chandail qu'elle avait tricoté pour le mousse. En rattachant leur personnage aux normes de l'opéra classique, ces deux artistes les élèvent à un degré de noblesse qui les distinguent justement de l'entourage mesquin dont Peter devient inéluctablement la victime.
A commencer par Rosalind Plowright qui impressionne en Mrs Sedley, devenue une sorte de Miss Marple en version malfaisante ; avec ses profondes sonorités de poitrine, elle donne le frisson au spectateur. De son côté, le baryton anglais Andrew Foster-Williams est un Balstrode autoritaire et humain, tandis que Kathleen Wilkinson incarne une savoureuse Auntie. Les deux nièces (Caroline MacPhie et Laure Barras) sont vocalement à leur place, apportant une contribution particulièrement éloquente au beau quatuor « Do we smile, or do we weep », à la fin de la première scène de l'Acte II. Le Swallow concupiscent de Karoly Zsemeredy, le Révérend aviné de Jeff Martin, et le Ned cynique de Benedict Nelson sont tous aussi fortement caractérisés, avec une mention pour le jeune Marin Bisson, qui joue l'apprenti avec une rare force de conviction.
Les chœurs, nous l'avons dit, sont l'un des points forts du spectacle. Vocalement exceptionnels, aussi bien dans les explosions de violence que dans les moments plus sereins, ils répondent avec un enthousiasme et une discipline sans faille aux volontés de Yoshi Oida qui, visiblement, les a fait énormément travaillé. Quant à Kazuchi Ono, à la tête d'un Orchestre national de Lyon souverain de cohésion, il offre une lecture fulgurante de la partition, rendant pleinement justice à cette écriture musicale, à la fois succincte et dramatiquement efficace, sans négliger aucune des plus subtiles nuances recherchées par Britten.
Peter Grimes à l'Opéra national de Lyon (Festival Britten), jusqu'au 26 avril 2014
Crédit photographique © Jean-Pierre Maurin
16 avril 2014 | Imprimer
Commentaires