Reprise de Cosi fan tutte selon A. T. De Keersmaeker à l'Opéra Ballet des Flandres

Xl_cosi_fan_tutte___l_opera_ballett_vlaanderen © Annemie Augustijns

Transfuge du Palais Garnier où la production a vu le jour en janvier 2017, ce Cosi fan tutte mis en scène et chorégraphié par Anne Teresa De Keersmaeker arrive cette fois sur les bords de l’Escaut, à l’Opéra d’Anvers, avant de poursuivre sa route vers celui de Gand. Comme elle, nous avons d’abord redouté le plateau entièrement nu, plongé dans un blanc clinique, où chaque chanteur est dédoublé par un danseur ou une danseuse de sa compagnie nommée Rosas qui portent les mêmes vêtements que son alter-ego (les costumes sont conçus par An D’Huys). Sur le plateau, tous se croisent, se cherchent, s’attirent ou se fuient… Et si certains entrechats esquissés par les chanteurs à la suite de leurs doubles ne paraissent pas toujours justifiés, avouons le pouvoir de séduction voire de fascination que l’élégance de la chorégraphie exerce sur nous, au point de ne pas voir passer les trois heures que durent le spectacle.

Il faut dire que le charme opère aussi du côté des voix, dont la qualité et l’homogénéité enchantent. Le ténor flamand Reinoud van Mechelen ravit ainsi en Ferrando, avec son émission claire et son timbre accrocheur, qui phrase également à la corde le fameux « Un aura amorosa ». Avec son baryton mordant, brillant, et plein d’aisance, le baryton français Edwin Crossley-Mercer brosse un portrait particulièrement nuancé de Guglielmo. Plus jeune que de coutume pour ce rôle généralement dévolu à des chanteurs en fin de course, le baryton-basse australien Damien Pass campe un Don Alfonso cynique et désabusé à souhait, totalement maître des fils de l’intrigue qu’il a nouée, avec une voix sonore et superbement timbrée.
Dans le rôle de Fiordiligi, la soprano allemande Katharina Persicke impressionne par la manière dont elle discipline un matériau généreux dans ses airs, notamment dans un « Per pietà » particulièrement intense, tout en intériorité et en pianissimi suspendus. La mezzo italienne Anna Pennisi offre une Dorabella très convaincante, avec son timbre onctueux et ses vocalises brillantes. Mais reconnaissons que la soprano flamande Hanne Roos leur vole la vedette, en campant une Despina piquante, virevoltante, désopilante, qui posséde toute les facettes que son personnage requiert.

À la tête d’un excellent Orchestre Symphonique de l’Opéra Ballet des Flandres, le vétéran britannique Trevor Pinnock offre une lecture vive et alerte de la partition de Mozart : il bouscule ici les lignes, force les contrastes, prend même plaisir à mettre en évidence les rugosités des cordes de la phalange flamande, en parfaite adéquation dramatique avec l’énergique proposition scénique d'Anne Teresa De Keersmaeker. Une standing ovation est réservée à l'ensemble de l'équipe artistique au moment des saluts. 

Emmanuel Andrieu

Cosi fan tutte de W. A. Mozart à l’Opéra Ballet des Flandres – à Anvers jusqu’au 13 février, puis à Gand du 23 février au 6 mars 2022.

Crédit photographique © Annemie Augustijns

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