Après avoir été étrennée au Festival d’Aix-en-Provence (cru 2016), la production de Cosi fan tutte imaginée par l’homme de cinéma français Christophe Honoré est présentée à l’Opéra de Lille. Comme Alain Duault, qui avait peu goûté le spectacle lors des représentations aixoises, nous avouerons n’avoir pas été séduit non plus par la transposition de l’action en Erythrée au temps de Mussolini, et encore moins par l’accent mis sur la composante sexuelle de l’ouvrage (les deux héros violent les femmes locales, tandis que leurs belles se servent des indigènes comme objets sexuels…), ce qui n'est pas sans rapeller sa production de Pelléas et Mélisande à Lyon où les jeunes amants ne pensaient qu’à forniquer, en contradiction complète avec l’esprit du livret de Maeterlinck… En revanche, point d’achoppement avec notre confrère (mais peut-être Honoré a-t-il revu sa copie entre temps ? ...), nous ne pouvons que saluer les qualités de sa direction d’acteurs : les tableaux s’enchaînent avec une virtuosité étourdissante, et les mouvements possèdent cette merveilleuse fluidité qui est une des marques de fabrique du réalisateur.
La distribution vocale a été entièrement renouvelée par rapport à Aix. Révélée à nous grâce à sa magnifique Mimi (La Bohème) à Genève l’hiver dernier, la soprano arménienne Ruzan Mantashyan (Fiordiligi) fait entendre une voix étoffée et déliée dans la vocalise. Le personnage est par ailleurs criant de vérité : le chant, habité à l’extrême, se fait l’interprète subtil des affres de cette belle âme blessée. De son côté, la jeune mezzo française (formée aux Etats-Unis) Virginie Verrez offre une superbe voix de mezzo-soprano, mais paraît quelque peu surdimensionnée pour Dorabella, malgré ses efforts pour alléger l’émission. Souvent loué dans ces colonnes (dans Don Giovanni à Lausanne ou encore Alcina à Genève), le ténor italien Anicio Zorzi Giustiniani (Ferrando) possède un timbre des plus séduisants, la virtuosité nécessaire pour rendre justice à l’air « Tradito, schernito », mais aussi la générosité et la luminosité requises dans le fameux « Un aura amorosa ». Son compariote Alessio Arduini est un parfait Guglielmo, qui allie autorité dans l’émission et élégance dans le phrasé. Nicolas Rivenq campe un Don Alfonso quelque peu en retrait : son timbre, de plus en plus gris, peine à faire sentir toute la perversité de son personnage. Quant à la soprano américano-roumaine Laura Tatulescu, elle est une Despina convaincante : la voix reste toujours aisée et le jeu, désarmant de naturel cynique, se met idéalement à l’unisson de cette mise en scène désenchantée.
Grande habituée de la fosse lilloise, de même que l’est sa formation Le concert d’Astrée, la cheffe française Emmanuelle Haïm offre une lecture enlevée de la partition de Mozart, notamment pendant le « Soave il vento » pris sur un rythme particulièrement soutenu comme pour marquer musicalement la présence de vagues sur une mer agitée. Et la tension entre les divers airs et ensembles est ménagée avec un tel sens du rythme et des atmosphères que les trois heures trente de représentation passent sans peine la rampe.
Cosi fan tutte de W. A. Mozart à l’Opéra de Lille, jusqu’au 12 octobre 2017
Crédit photographique © Simon Gosselin
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