Après avoir enthousiasmé le public montpelliérain lors de sa création aux Folies d’O en juillet 2018, cette production de La Fille du Régiment selon Shirley & Dino a ravi celui de l’Opéra Confluence d’Avignon, où le spectacle a été repris pour deux représentations données à guichets fermés. Nous ne reviendrons pas sur le contenu du travail des deux humoristes, qui n’ont pas apporté de changements significatifs pour cette reprise provençale. Mais le clou de la soirée reste le moment où les deux trublions massacrent allègrement un duo extrait de la Véronique d’André Messager (si exogène soit-il à la partition de Gaetano Donizetti... mais il est vrai en écho avec la scène où Marie chante elle-même faux), ce qui provoque la plus grande hilarité générale de la soirée.
Les deux rôles principaux restent identiques par rapport aux représentations montpelliéraines, et l’on ne s’en plaindra pas, tant Anaïs Constans et Julien Dran constituent un bonheur musical absolu en plus d’être un couple très bien assorti, même si l’évolution vocale (ces deux dernières années) de la première fait qu’elle tend à prendre le dessus (vocalement) sur son partenaire masculin. Pour le reste, la jeune soprano française se montre aussi formidable que dans la cité languedocienne, avec une composition scénique bluffante, alternant entre coquetterie bourrue et charme solaire, mais dont chaque geste, chaque attitude, chaque inflexion du texte parlé, sonnent avec un naturel confondant. Vocalement, en plus, le rôle s’inscrit dans ses meilleures notes, avec une voix d’un format plus large que de coutume pour cet emploi, ce qui n’en donne que plus d’épaisseur au personnage. Et ce qui change par rapport à sa première incarnation, c’est que la chanteuse varie ici encore davantage la couleur de ses accents, et dose avec plus de science encore les effets forte/piano, pour livrer un bouleversant « Il faut partir » et un somptueux « Par le rang et par l’opulence ».
Du grand art que l’on retrouve chez le formidable ténor bordelais Julien Dran, aussi crédible scéniquement que sa partenaire (bien que la mise en scène le fasse trébucher à chaque pas !..). Arrachant le personnage à la convention du ténor venant pousser ses neuf contre-Ut (11 dans le cas présent !), il en souligne la jeunesse, la tendresse et la naïveté, avec une rare qualité de timbre et de ligne, et avec un art du chant qu’il peaufine au fur et à mesure des nouveaux rôles qu’il abordent. S’il faut saluer l’exploit de son grand air « Ah mes amis », l’on s’attardera plutôt sur son « Pour me rapprocher de Marie », d’une grande beauté et émotion. Dans le rôle de la Marquise de Berkenfield, on retrouve également Julie Pasturaud, toujours aussi irrésistible de présence et de drôlerie, tandis que Marc Labonnette campe un Sulpice moins sonore que Lionel Lhote, mais tout aussi humainement touchant, bougonnant à souhait… et sacrément attachant ! Mais des rôles « secondaires », l’on retiendra surtout l’impayable numéro de la basse portugaise Joao Fernandes en Duchesse de Crakentorp, à la fois aguicheuse et furieusement nostalgique du IIIème Reich ! Moins bonne, en revanche, l’idée d’adjoindre des choristes féminines au chœur d’hommes prévu par le livret, car cela déséquilibre clairement les tonalités...
Mais la réussite de la soirée n’aurait pas été aussi accomplie sans Jérôme Pillement au pupitre, comme déjà à Montpellier il y a deux ans, le chef français démontrant sa maîtrise de ce répertoire, et surtout son sens inné de l’accompagnement le mieux adapté aux chanteurs.
La Fille du régiment de Gaetano Donizetti à l’Opéra Confluence d’Avignon (janvier 2020)
Crédit photographique © Cédric Delestrade
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