Reprise de la Jenufa de Nicolas Joël à l'Opéra national du Capitole

Xl_jenufa_au_th__tre_du_capitole © Mirco Magliocca

Du fait de la pandémie en 2020, l'Opéra national du Capitole (comme il faut désormais l'appeller !) avait dû annuler la Jenufa qu’avait imaginée le regretté Nicolas Joël pour cette même scène (en 2004), et son successeur Christophe Ghristi a tenu à remettre la production à l‘affiche de sa saison 21/22. Le dépouillement de la mise en scène met l’accent sur le destin ordinaire et sur la médiocrité oppressante des personnages : un haut mur de pierres grises enferme la scène, au milieu de laquelle se détache la roue d’un moulin qui tourne lentement, mais inexorablement, à l’instar du destin des protagonistes. Les éclairages subtils de Vinicio Cheli varient l’atmosphère de ce dispositif très simple, mais efficace, avec une belle idée de mise en scène lorsqu'au deuxième acte, un plafond de pierre descend lentement des cintres, comme pour écraser les deux héroïnes. Nicolas Joël n’interroge peut-être pas autant le texte que d’autres metteurs en scène avant et après lui, mais sa lecture de l’ouvrage de Leos Janacek, fidèle à la lettre du livret de la main du compositeur, se soucie avant tout d’efficacité et de lisibilité. Une modestie qui donne pleine liberté aux chanteurs, qui peuvent ainsi donner vie à leurs personnages, tâche que remplit à merveille la formidable équipe de chanteurs-acteurs réunie sur la scène capitoline.

Une distribution à la fois homogène et équilibrée, qui trouve aisément sa place, depuis le Maire incisif de Jérôme Boutillier, son épouse incarnée par l’intense Mireille Delunsch, et leur fille interprétée par une brillante Victoire Bunel, entourés d’autres seconds rôles impeccables : la Bergère de Svetlana Lifar, la Barena d’Eléonore Pancrazi et le Jano de Sarah Gouzy. Pour Cheryl Studer initialement annoncée, Cécile Galois campe une véhémente Grand-Mère Buryja. Il semble qu'on ait perdu au change suite à la défection d’Amadi Lagha dans le rôle de Steva, car son remplaçant, le ténor mexicain Mario Rojas, peine à s’imposer tant scéniquement que vocalement, couvert la plupart du temps par l’orchestre. Le ténor roumain Marius Brenciu convainc mieux en Laca, avec une voix plus percutante que son confrère.

De son côté, en remplacement d’Angela Denoke, Catherine Hunold (qui a dû apprendre le rôle en peu de temps) campe une impressionnante Kostelnicka, avec une arrogance et une puissance dans l’émission que l’on ne rencontre pas toujours dans les titulaires du rôle. Impossible de résister à son impact, d’autant qu’elle sait ajouter à son personnage la touche d’ambiguïté et de vulnérabilité dont il ne peut se passer. Une enthousiasmante prise de rôle à ajouter à sa brillante carrière ! En abordant le rôle éponyme, Marie-Adeline Henry jouait également gros. Mais en vérité, elle s’y montre formidable d’intelligence, de sensibilité et d’humanité. Dans une salle aux dimensions idéales, la soprano française livre une de ses incarnations les plus abouties, et l’on n’est pas près d’oublier cette Jenufa au chant généreux, à la voix incisive, capable des nuances les plus émouvantes, malgré un timbre qui n’est pourtant pas spécifiquement « beau ».

Enfin, le chef autrichien Florian Krümpock fait aussi grande impression. Les rythmes sont secs, cassants. De soudains silences ponctuent une conception musicale ne cherchant pas d’emblée à séduire : il s’agit plutôt de cerner au plus près le déroulement d’une action dont les plus importants développements sont parfois à peine exploités par le compositeur, comme l’annonce de la mort du bébé de Jenufa ou, plus tôt, la blessure au couteau qui va la défigurer durablement. Et il faudra, pour finir, saluer l'excellent Chœur du Capitole, superbement préparé par Gabriel Bourgoin.

Emmanuel Andrieu

Jenufa de Leos Janacek à l'Opéra national du Capitole, jusqu’au 26 avril 2022

Crédit photographique © Mirco Magliocca

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading