Reprise triomphale des Huguenots de Meyerbeer selon Olivier Py à La Monnaie de Bruxelles

Xl_les_huguenots___la_monnaie_de_bruxelles2 © Mathias Baus

Onze ans après avoir assisté à ces Huguenots mis en scène par Olivier Py au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles, nous avions hâte de les retrouver tant le souvenir est resté gravé dans notre mémoire, pour la qualité du spectacle (à nos yeux le meilleur travail du trublion français sur un opéra), mais aussi pour la beauté de la partition de Giacomo Meyerbeer qui retrouve enfin – et dieu sait qu’elle le mérite ! – le chemin des salles lyriques internationales comme dernièrement au Grand-Théâtre de Genève, à l’Opéra Bastille ou à la Deutsche Oper Berlin. Et nos attentes n’ont pas été déçues tant sa mise en scène (ici reprise par Daniel Izzo) conserve toute sa puissance évocatrice, sa cohérence et son goût du spectaculaire, aidée en cela par la grandiose et angoissante scénographie imaginée par le fidèle Pierre-André Weitz :  une imposante architecture de galeries à pilastres, de frontons triangulaires et de fenêtres à meneaux en texture de laiton, qui ne cesse de tournoyer sur elle-même ou d’être dégagée vers les coulisses pour laisser un espace central vide où les chœurs, toujours maniés avec brio, peuvent emplir l’espace. Pour l’aspect historique – on le rappelle, le livret se déroule sur fond de Massacre de la Saint-Barthélemy –, les catholiques garant de la tradition arborent des armures dorées et des fraises quand les protestants novateurs revêtent des redingotes de bourgeois du XIXe siècle, parmi lesquels Catherine de Médicis ou Henri IV font même une apparition ! Quelques idées fortes viennent soutenir le propos, comme ces croix qui deviennent des épées quand elles sont retournées, ou cette incarnation de l’intolérance religieuse par un chevalier doré et sans visage ou encore cette masse de déportés effrayés, valises en main, qui renvoie à un autre massacre dû au fanatisme, bien plus proche de nous et meurtrier celui-là. Et comme toujours avec Olivier Py, on retrouve ses tocs familiers, avec moult suggestions homosexuelles dans l’acte I, et où l’on copule allègrement dans la scène du parc de Chenonceau.

La distribution n’a pas à pâlir devant celle (déjà) réunie par Peter de Caluwe en 2011. A commencer par le phénoménal Raoul de Nangis du ténor sicilien Enea Scala, héroïque alla Duprez (créateur du rôle et inventeur du contre-ut de poitrine), d’une facilité vocale et d’une endurance presque surhumaine, qui catapulte des contre-ut et contre-ré bémols « en veux-tu en voilà », par ailleurs puissamment projetés même s’il sait aussi soigner la ligne et le legato quand la partition l’exige, le tout dans un français hautement clair et intelligible. Par ailleurs, son physique particulièrement avenant le prédestine aux emplois de héros romantiques. Le public de La Monnaie ne s'y trompe pas et lui fait un triomphe mérité au moment des saluts !

Déjà sa partenaire dans Armida à Montpellier ou La Donna del Lago du même Rossini à Marseille, Karine Deshayes chante le rôle de Valentine (après celui d’Urbain en 2011) et confirme sa prédisposition aux rôles de falcon vers lesquels elle se tourne désormais, avec toute la puissance, la musicalité et l’engagement vocal et scénique qu’on lui connaît. Son grand air « Parmi les pleurs mon rêve se ranime » est ainsi rendu avec toute la passion et le panache requis, et surtout des aigus d’une éclatante fermeté.

De son côté, la soprano colorature hollandaise Lenneke Ruiten brille de mille feux dans les pyrotechnies vocales de son air d’entrée « Ô beau pays de la Touraine », la méticulosité clinique de ses vocalises traduisant l’insouciance et le caractère aristocratique de sa partie. La basse russe Alexander Vinogradov laisse pantois par ses imposants moyens, apportant à son personnage de Marcel non seulement les ressources d’une basse profonde, mais aussi une juste vocalità, d’une rude humanité, dans un rôle qui a inspiré à Verdi le Grand Inquisiteur de son Don Carlos, une typologie vocale dont il est l’un des rares (dignes) représentants aujourd’hui. Très satisfaisant également, l’Urbain de la jeune mezzo française Ambroisine Bré, un rôle écrit à l’origine pour une soprano. Elle interprète le fameux Rondeau (conçu par Meyerbeer à l’intention de la contralto Marietta Alboni) avec une juvénile assurance, et récolte aussi un beau succès personnel. Avec sa souveraine diction, qui est un régal de tous les instants, Nicolas Cavallier impose un Saint-Bris implacable, tandis que le baryton italien Vittorio Prato campe un remarquable Nevers, lui aussi s’exprimant dans un français impeccable. Et les comprimari sont tous dignes d’éloges : le Retz de Yoann Dubruque, le Cossé de Pierre Derhet, le Thoré de Patrick Bolleire, le Tavannes de Valentin Thill, le Méru de Jean-Luc Ballestra ou encore le Bois-Rosé de Maxime Melnik.

Enfin, notons l’admirable mobilité expressive du chœur maison, magnifiquement préparé par Emmanuel Trenque. De même, le fini orchestral d’un prodigieux Orchestre du Théâtre Royal de La Monnaie, parmi lequel se détache des soli instrumentaux (harpe, flûte, cor anglais) d’une superbe élégance, témoigne d’une excellente préparation musicale qui permet au chef italien Evelino Pido de faire ressortir, avec une constante plasticité formelle et sonore, les beautés de la partition de Meyerbeer. Car comme toujours avec les partitions du compositeur allemand (Le Prophète ou Robert le Diable ne sont en rien inférieurs aux Huguenots), elles emportent les spectateurs dans un tourbillon d’émotions, de coups de théâtre – dramatiques et musicaux – qui ne leur laissent aucun repos. Et les spectateurs qui pouvaient au départ être rebutés par ce spectacle d’une durée de 5h15 sont (quasi) tous restés jusqu’à la fin, portant même la soirée à une durée de 5h30 par les nombreux rappels survoltés qui s’en sont suivis !

Emmanuel Andrieu

Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles, jusqu’au 2 juillet 2022

Crédit photographique © Matthias Baus
 

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