Quel bonheur de retrouver Lucerne et son prestigieux festival, deux ans après y avoir passé une mémorable soirée en compagnie de la grande Anja Harteros. Cette fois, pas de Staatskapelle de Dresde en fosse, mais rien moins que la plus fameuse phalange musicale du monde, l’Orchestre Philharmonique de Berlin, dirigé par son charismatique directeur musical Sir Simon Rattle. Avant un concert entièrement consacré à Chostakovitch le lendemain, c’est à l’Oratorio de Haydn La Création (Diie Schöpfung) que nous avons eu la chance d’assister. Sur un livret anglais tiré du Paradis perdu de John Milton, adapté en allemand par le Baron van Swieten, cette magnifique partition, jouée pour la première fois en avril 1798, raconte la création successive – sous l’impulsion de la main du Très Haut – des éléments, des animaux puis de l’homme.
D’emblée, la représentation du Chaos par un tutti flamboyant foudroie l’auditoire et donne véritablement le ton. Le chef britannique imprime à son orchestre une respiration ample et profonde, avant de lui imposer un tempo très retenu, empli de mystère. L’entrée de Raphaël, quasi murmurée, prolonge de manière touchante ce climat intimiste. Par la suite, l’orchestre suscite de bout en bout l’admiration, au travers notamment d’effets admirablement ménagés et de climats subtilement contrastés. Les glorieux instrumentistes de cette légendaire phalange, parfaitement différenciés au sein d’une masse orchestrale d’une exceptionnelle homogénéité, font tous honneur à l’orchestration raffinée de Haydn. Le Chœur de la Radio de Berlin est à l’unisson : on ne se lasse pas d’admirer sa justesse, son sens des nuances, sa science du phrasé, ses éclats autant que ses pianissimi immatériels.
Que du bonheur également du côté des trois solistes, chacun se montrant à la hauteur de l’événement. Commençons par des louanges appuyées à l’encontre de la jeune soprano Elsa Dreisig – dont nous venons de publier une interview – qui a dû apprendre sa partie en 24 heures suite à la défection de dernière minute de sa collègue allemande Genia Kühmeier ! Au-delà de la performance, comment ne pas être séduit par cette voix gorgée de lumière et de charme, capable de vocaliser sur toute l’étendue de la voix et de rendre justice autant à l’archange Gabriel qu’à Eve. L’attention sans faille qu’elle apporte à sa ligne de chant dans le splendide « Auf starkem Fittiche schwingen sich » finit d’emporter notre adhésion. De son côté, le plus rôdé Mark Padmore s’acquitte avec tous les honneurs du rôle d’Uriel (qui signifie « Lumière de Dieu » en hébreu). Le ténor anglais s’approprie en effet totalement le rôle qui lui est dévolu, racontant l’Histoire tour à tour par le murmure ou par l’appel, avec un timbre qui n’a pas de mal à s’épanouir dans l’évocation solaire du superbe air « In vollem Glanze ». Enfin, la basse autrichienne Florian Boesch fait preuve à la fois de finesse et d’autorité dans les rôles d’Adam et de Raphaël, et l’on admire la puissance expressive qu’il confère à l’air « Rollendin schaümenden ».
Comme il est de tradition au Festival de Lucerne, une courte pièce de musique contemporaine (composée par Georg Friedrich Haas) a précédé La Création, une partition d’une insoutenable angoisse qui s’avère être une totale hérésie pour introduire le délicat chef d’œuvre humaniste de Haydn. C’est la seule faute de goût d’une soirée sinon en tous points exceptionnelle…
La Création de Josef Haydn au Festival de Lucerne, le 30 août 2017
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