C’est une Carmen dans sa version avec dialogues parlés qu’a retenu l’Opéra Royal de Wallonie, et le fait est suffisamment rare pour qu’il soit évoqué ici. Pour la proposition scénique, Stefano Mazzonis Di Pralafera est allé chercher le metteur en scène allemand Henning Brockhaus qui transpose l’histoire de la gitane dans l’univers du cirque : c’est ainsi à dos d’éléphant que la cigarière entre en scène ! Si l’univers de la corrida et du flamenco sont également présents dans ce décor unique représentant l’intérieur d’un chapiteau circassien (signé par Margherita Palli), la place la plus belle est faite aux acrobates, meneuses de revue, et autres dresseurs d’animaux en tout genre. Si certains actes souffrent de l’unicité du lieu, comme les montagnes du fameux acte III, la scène finale s'y avère particulièrement crédible, d’autant que l’égorgement de Carmen par Don José (avec force hémoglobine) atteint ici une rare violence.
Dans le rôle-titre, la mezzo géorgienne Nino Surguladze se montre crédible et pleine de charme, mieux à sa place que dans la partie de Marguerite (La Damnation de Faust) qu’elle avait chantée in loco il y a tout juste un an. Vocalement, or quelques syllabes avalées, tout y est : la voix est souple, d’une jolie couleur, avec un bon contrôle du souffle, une musicalité réelle et une diction compréhensible. Sans brûler les planches, l’actrice est aussi pleinement convaincante. Elle a pour Don José un grand habitué des lieux, le liégeois Marc Laho, que nous avons pu déjà entendre in loco dans Jérusalem de Verdi l'an passé ou encore dans Les Pêcheurs de perles du même Bizet. Bien en voix, excepté une tendance à détimbrer dans les aigus forte, le ténor belge donne à son personnage une espèce de force primitive, à la fois naïve et gauche, mais d’où se dégage peu à peu au fil de la soirée une réelle qualité d’émotion.
Nonobstant un accent qui trahit ses origines italiennes, la soprano vénitienne Silvia Dalla Benetta – fortement remarquée dans des Huguenots niçois il y a deux ans – campe une bien belle Micaëla : sa voix (inhabituellement corsée pour cette partie) et son jeu contournent l’obstacle de la mièvrerie, en laissant apparaître un personnage dense, qui révèle une plénitude et une détresse comparables finalement à celles de sa rivale. Comme à son habitude, Lionel Lhote possède la mâle assurance et la projection vocale d’un Escamillo triomphant, avec une diction par ailleurs exemplaire. On saluera ensuite l’interprétation de Roger Joakim pour Zuniga, très à l’aise de toute évidence dans ce rôle, tandis que les autres comprimari soufflent le chaud (Papuna Tchuradze en Remendado et Alexia Saffery en Frasquita) ou le froid (Patrick Delcour – annoncé cependant souffrant – en Dancaïre et Alexise Yerna en Mercédès).
Pour finir, il faut souligner l’excellence de la direction musicale : celle de l’Orchestre Royal de Wallonie-Liège, de la Maîtrise et du Chœur maisons. L’énergie qui parcourt la partition, l’exaltation et le mordant, la jeune italienne Speranza Scappucci – cheffe principale de l'ORW – les interprète hors de toute convention folkloriste, et sa direction est indubitablement le principal motif de satisfaction de la soirée.
Carmen de George Bizet à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 9 février 2018
Crédit photographique © Lorraine Wauters
06 février 2018 | Imprimer
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