« J’ai souhaité respecter les intentions du compositeur et de son librettiste en ne perdant pas de vue l’atmosphère et le contexte historique des derniers jours et du destin tragique d’Anne Boleyn » : tels finissent les propos de Stefano Mazzonis di Pralafera dans le programme de salle de cette nouvelle production d’Anna Bolena de Gaetano Donizetti à l’Opéra de Lausanne (en coproduction avec l’Opéra Royal de Wallonie, la Royal Opera House de Mascate, et l’Opéra de Bilbao). De fait, en découvrant le somptueux décor signé par Gary McCann, on comprend que l’on va assister à un spectacle d’autrefois, quand la beauté (visuelle) avait encore la primauté sur la laideur : le rideau s’ouvre ainsi sur une longue paroi de bois finement ouvragée en fond de scène, flanquée de quatre portiques à chambranle sur les côtés - que l’on déplacera pendant la représentation, ici pour suggérer un des couloirs du palais, là pour figurer une salle de tribunal -, tandis qu’à l’avant-scène (gauche) trône un superbe lit à baldaquin, dans lequel Henry VIII s’ébroue avec Giovanna Seymour (pendant l’ouverture). Les somptueux costumes « historicistes » conçus par Fernand Ruiz - dont une réplique quasi exacte de celui que Henry VIII porte sur son portait en pied le plus célèbre - rivalisent de magnificence, tous ces éléments étant par ailleurs superbement rehaussés par les éclairages élaborés de Franco Marri. Devant une telle débauche de moyens, comment ne pas penser aux fastueuses autant que mythiques productions de Franco Zeffirelli, auxquelles Mazzonis semble vouloir rendre hommage, en même temps qu’il signe une régie d’un « Elisabéthisme » maniéré qui convient parfaitement à l’action dramatique... à laquelle on n'aura jamais autant cru ! A ce titre, l’image finale qui montre Anne Boleyn se débarrassant de son collier de perles pour mieux offrir sa nuque nue au bourreau qui l’attend - et vers lequel elle s’avance avec autant de courage que de dignité - restera longtemps gravée dans notre esprit.
Remplaçant Maria Grazia Schiavo, initialement prévue, la soprano américaine Shelley Jackson est une bien belle découverte dans le rôle-titre, qu’elle a déjà interprété à l’Opéra de Karlsruhe et au festival de Buxton. La cantatrice possède une voix assurée, homogène sur toute la tessiture, avec un grave dramatique, un médium stable et suffisamment large, et un timbre gorgé d’harmoniques qui n’est pas sans rappeler quelques-unes de ses illustres devancières, Leyla Gencer en tête... Et si l’aigu est parfois un peu court (mais néanmoins juste et puissant), la vocalisation est particulièrement précise et les colorations variées. A cet égard, l’extraordinaire scène finale - l’un des plus hauts sommets de tout le romantisme musical - est particulièrement réussie, avec un « Al dolce guidami » élégiaque et émouvant, et un « Coppia iniqua » tout aussi impressionnant.
Anna Bolena, Opéra de Lausanne ; © Alan Humerose
Anna Bolena, Opéra de Lausanne; © Alan Humerose
C'est un Edgardo Rocha courageux que l'on retrouve à Lausanne, seulement trois mois après sa participation à une flamboyante Donna del lago (de Rossini) à Marseille, dans cette production qui a souhaité (grâce au travail de recherche de Paolo Fabbri) rétablir la partition originale écrite à l'époque pour le plus célèbre ténor de son temps Giovanni Battista Rubini : sa première scène est ainsi montée de deux tons et demi, et la seconde d'un ton entier ! Malgré une voix assez claire et légère qui, par moment, se laisse couvrir par l'orchestre, il faut reconnaître le courage du ténor urugayen d’affronter le rôle si ardu de Percy (dans cette tessiture très particulière) : en accord avec le chef, ses parties sont ainsi chantées sans coupure et sont variées lors des reprises. Comment aurait-on pu imaginer, après plus de deux heures de spectacle, qu’il oserait finir l’air « Nel veder la tua constanza » du II par un flamboyant contre-Mi naturel, après avoir fait quatre Mi-bémols et de multiples contre-Ut durant toute la soirée ?! De manière très légitime, son legato, sa souplesse d’émission et son style idéal pour ce répertoire lui valent des hourras de la part du public lausannois au moment des saluts (et à la fin de chacun de ses airs...).
A 40 ans, la basse finnoise Mika Kares teste ses aptitudes vocales face à une partition mouvementée. C'est après des rôles comme Ferrando (dans Il Trovatore, où nous l’avions entendu à l’Opéra Bastille), Sarastro, Ramfis et autre Fiesco (également entendu dans le rôle à l’Opéra Bastille) qu'il se bat, cette fois, contre le rôle belcantiste de Henry VIII. Mais sa lourde voix de basse l'empêche de mener à bien ces lignes de chants, ponctuées de variations et de pièges, typiques de Donizetti. Son manque d'agilité lui fait perdre pied, et le fait malheureusement se démarquer du reste du groupe. De son côté, la mezzo géorgienne Ketevan Kemoklidze - déjà entendue dans le rôle de Giovanna Seymour à l’Opéra Grand Avignon en 2017 - renouvelle notre enthousiasme avec sa technique aguerrie, son timbre flamboyant, ses talents de tragédienne et son absolue honnêteté stylistique. Enfin, la mezzo catalane Cristina Segura fait de son mieux pour rendre crédible le personnage assez falot de Smenton tandis que le baryton russe Daniel Golossov - Wurm (Luisa Miller) incisif in loco en 2014 - ne démérite pas non plus dans celui de faire-valoir de Rochefort. Quant au Chœur de l’Opéra de Lausanne, il se comporte fort bien et mérite ainsi les plus vifs éloges tant pour sa qualité musicale que pour sa tenue scénique.
Le dernier atout de la soirée est bien évidemment la baguette de l’excellent chef italien Roberto Rizzi-Brignoli, homme d’un grand sérieux professionnel, autant que musicien cultivé et sensible, qui parvient ici à démêler avec maestria - et un Orchestre de Chambre de Lausanne des grands soirs... - les fils subtils mais délicats du discours donizettien.
Anna Bolena de Gaetano Donizetti à l’Opéra de Lausanne, jusqu’au 13 février 2019
Crédit photographique © Alan Humerose
09 février 2019 | Imprimer
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