Douze ans après sa création in loco, l'Opéra de Marseille reprend la superbe production que le duo Patrice Caurier/Moshe Leiser avait signée de L’Aiglon d'Arthur Honegger, mise en scène reprise ici par Renée Auphan, l'ancienne directrice de l'institution phocéenne. Ce magnifique ouvrage – qui retrace les derniers mois de la vie du fils de Napoléon 1er, et l'impitoyable humiliation de ce dernier par son geôlier autrichien, le Prince Metternich - est en fait le fruit de la collaboration entre le compositeur suisse et Jacques Ibert. Mais c’est à Raoul Gunsbourg, commanditaire de l’opéra - et à l‘époque directeur de l‘Opéra de Monte-Carlo -, qu’on doit le partage de l’œuvre. Ainsi, Ibert a traité les épisodes sentimentaux et émouvants des 1er et 5ème acte, tandis qu'Honegger a écrit les passages de mouvements et d’héroïsme, notamment l’hallucinante évocation de la bataille de Wagram, où les plaintes des blessés se mêlent à La Marseillaise. Traitée à la manière des images d’Epinal, l’œuvre est intense, directe, pathétique.
Après la magnifique étoile filante que fût Alexia Cousin - qui interprétait le rôle-titre en 2004 -, c'est la merveilleuse Stéphanie d'Oustrac qui reprend - avec son panache coutumier - le flambeau. La mezzo française traduit, avec conviction, la force fragile, l’enthousiasme, les refus ou encore la difficulté d’être du Duc de Reichstadt. Elle est admirable de flamme et de vaillance vocale dans le tableau de Wagram, et s’avère bouleversante dans son agonie à l'acte V : « On n’avait pas le droit de me voler ma mort ». Le baryton nîmois Marc Barrard (qui nous a accordé une interview) apporte au personnage de Flambeau une irrésistible force de conviction, une touchante humanité, en même temps qu'une efficacité vocale - et une diction exemplaire de notre langue ! - qui lui valent un beau succès personnel au moment des saluts. Le baryton-basse américain Franco Pomponi ne lui cède en rien en termes d’intelligibilité, et campe un Metternich d’une effrayante rigidité et d’un glaçant machiavélisme. La voix n’est pas en reste avec un grain coulé dans le bronze. Les nombreux rôles secondaires sont tous formidables d’investissement, avec une mention particulière pour le chant puissant de Bénédict Roussenq (Marie-Louise) et l’émouvante Thérèse de Ludivine Gombert, personnage qui accompagne la mort de l’Aiglon en lui chantant des comptines à la toute fin de l'ouvrage, moment d’une belle intensité émotionnelle. On relèvera également le Chevalier de Prokesch-Osten de belle allure de Yann Toussaint, ou encore la surprenante Fanny de Laurence Janot. Petit bémol, tout de même, pour le Marmont d'Antoine Garcin, à la voix et à l'émission bien chaotiques.
Loin de toute transposition, la proposition scénique joue la carte de la contextualité historique, toute de sobriété et de classicisme, fidèle au drame signé par Edmond Rostand (mis en livret par Henri Caïn). Elle est soutenue par la belle scénographie de Christian Fenouillat, qui pousse le détail jusqu’à reconstituer les boiseries vertes du Palais de Schönbrunn, et les superbes costumes imaginés par Agostino Cavalca, qui sont un régal pour l’œil, et qui s'avèrent très efficaces pour caractériser un personnage, tel Metternich avec son grand manteau noir et raide.
Enfin, grand amoureux et défenseur du répertoire français, le chef français Jean-Yves Ossonce dirige un Orchestre de l'Opéra de Marseille tout en finesse et en raffinement - à l’image de la partition -, les intermèdes orchestraux témoignant notamment d’un réel sens poétique.
L'Aiglon d'Arthur Honegger & Jacques Ibert à l'Opéra de Marseille, jusqu'au 21 février 2016
Crédit photographique © Christian Dresse
18 février 2016 | Imprimer
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