Les archives vidéographiques du Metropolitan Opera continuent, chaque soir, de faire le bonheur des mélomanes, celui-ci atteignant souvent son comble quand leur idole masculine est à l’affiche – nous voulons bien sûr parler de Jonas Kaufmann –, comme ça sera le cas ce soir avec ce Faust de Gounod, capté en 2011 dans une production confiée à Des McAnuff. Directeur artistique du Shakespeare Festival de Stratford (au Canada, pas en Angleterre…), l’homme de théâtre américano-canadien est très connu à Broadway pour les nombreux musicals qu’il y a monté. Et cette seconde incursion pour lui dans l’univers lyrique confirme malheureusement qu’un génial réalisateur de comédies musicales ne fait pas forcément un talentueux metteur en scène d’opéra, car c’est un Faust bien conventionnel, sous un emballage pseudo-intellectuel, que McAnuff nous livre là… Il superpose ainsi au mythe de Faust celui de l’Apprenti sorcier, qui fait du vieux savant un physicien dont les travaux débouchent sur l’horreur de la bombe atomique lancée sur Nagasaki et Hiroshima. Mais la métaphore du Mal en tant qu’utilisation pernicieuse de la science à des fins destructrices n’est jamais ici exploitée de manière lisible, ni de manière cohérente par rapport au livret. Cela dit, l'on peut aussi se contenter – voire se réjouir – de suivre ainsi au premier degré le déroulement de l’action, cette totale disponibilité intellectuelle permettant en plus d’apprécier l’indiscutable qualité musicale et vocale de la représentation.
Et pour ne pas changer, Jonas Kaufmann capte immédiatement les regards tant par son physique hautement séduisant que par son style scrupuleusement musical. Il parvient à concilier comme personne deux qualités qui entrent souvent en conflit : l’élégance de la ligne et la générosité des moyens. Dans le fameux « Salut, demeure chaste et pure », il sait plier sa voix aux plus infimes variations dynamiques, parcourant une gamme de nuances infinies, et termine l’air avec un aigu éclatant (plutôt que d'utiliser la voix de tête, à l’instar de son seul rival dans le rôle aujourd’hui, Roberto Alagna…).
De son côté, la soprano russe Marina Poplavskaya use et abuse d’effets de pianissimi sur le fil de la voix, jusqu’à rendre Marguerite insupportablement maniérée. Avec son timbre riche et charnu, elle possède les atouts pour donner un profil fort à son personnage, mais elle ne s’en effondre pas moins (en accusant de sérieux problèmes techniques...) dans la scène de la prison, où l’on souffre avec elle... René Pape reste, en revanche, l’exceptionnel Méphisto que l’on sait, un rôle que la basse allemande a tenu sur toutes les plus grandes scènes lyriques du monde : son magnifique diable, moqueur et sceptique, sait user de sa séduction personnelle, et la qualité de son timbre ajoute à l’excellence de son numéro, le tout soutenu par une diction parfaite de notre langue. Le baryton canadien Russel Braun, un des piliers de la maison étasunienne, offre un Valentin superbe d’aisance et de pugnacité, tandis que le Siébel de sa compatriote Michèle Losier est débarrassé de toute la mièvrerie qui est souvent associée à cette partie. Les rôles secondaires sont plus inégaux, tandis que le Chœur du Metropolitan Opera s’impose comme une formation de premier ordre.
Quant à la direction musicale du jeune et talentueux chef québécois Yannick Nezet-Séguin (qui a succédé à James Levine à la tête de l'Orchestre du Metropolitan Opera) elle offre à la fois une belle dynamique d’ensemble, un soin des détails et une parfaite lisibilité du récit dramatique, qui ne peuvent que susciter l’enthousiasme.
Faust de Charles Gounod (en streaming) sur le site du Metropolitan Opera – disponible gratuitement (pour une durée de 24h) à partir du 23 mai à 19h30, heure de New York (et le 24 à 1h30 du matin, heure de Paris) dans le cadre des Nightly Met Opera Streams, puis de manière payante via l'offre Met on Demand.
23 mai 2020 | Imprimer
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