Autre grande pourvoyeuse d’opéras en streaming, aux côtés des Nightly Met Opera Streams ou d’OperaVision par exemple, la RaiPlay permet de visionner de nombreux spectacles captés dans les théâtres lyriques d’Italie, à commencer par le principal d’entre eux, le Teatro alla Scala de Milan où ont été donnés en juillet 2019 les rares Masnadieri de Giuseppe Verdi – l’une des dernières partitions des « années de galère » du compositeur, riche d’airs qui ne dépareraient pas dans la trilogie des années 1850. Mais comme nous l’avions souligné dans une recension monégasque de ce titre, le drame de Friedrich von Schiller revu et corrigé sous la plume d’Andrea Maffei (le librettiste) pèche par le manque d’épaisseur des personnages, qui empêche les spectateurs de s’intéresser véritablement à eux...
D’habitude très fidèle aux livrets qu’il doit mettre en scène, à l’image de la trilogie Tudor du Met que nous avons récemment chroniquée dans ces colonnes (Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux), le metteur en scène écossais David McVicar prend ici d’évidentes libertés avec l’intrigue en s’écartant quelque peu du livret de Maffei pour suivre une autre piste. S’il garde le temps de l’ouvrage, le XVIIIème siècle, il recentre en revanche toute l’action via le prisme du célèbre dramaturge allemand, omniprésent sur le plateau de la première à la dernière scène. À l’époque où il écrit Die Räuber (Les Brigands), Schiller a été forcé d’intégrer une très stricte école militaire à Stuttgart, et c’est dans le décor unique ce cette institution très masculine (scénographie signée par Charles Edwards) que McVicar place toute l’action. Pendant l’ouverture, on voit Schiller se faire vertement réprimander par son supérieur hiérarchique, à coups de baguette admonestés sur le postérieur, spectacle humiliant auquel assistent tous ses collègues (les fameux brigands...) depuis la balustrade qui surplombe la vaste salle (photo), dont la partie droite est occupée par la haute statue du Duc de Wurtemberg, le fondateur de l’école militaire. Au fur et à mesure du drame, tandis que les dérives morales gagnent de plus en plus ses occupants, le vaste salon subit les mêmes détériorations et se délabre de plus en plus au cours de la soirée. Coûte que coûte, Schiller continue d’écrire tandis que les protagonistes se déchirent sous ses yeux, entrant même parfois en interaction avec eux, mais le personnage qui le personnifie ici réécrit quelque peu la fin imaginée par le véritable auteur : Amalia se suicide plus qu’elle n’est tuée par son amant Carlo, tandis que ce dernier reste en vie au lieu de se donner la mort…
Sans avoir l’élégance (c’est un euphémisme…) ni le raffinement exigés par Carlo (il abuse plus que de raison de la nuance forte...), le ténor italien Fabio Sartori déploie de grands et beaux moyens, avec un aigu très sûr qui lui permet de faire fi de l’énergique cabalette « Nell’argilla maledetta » au I. Si son compatriote Massimo Cavalletti n’a pas toujours la projection ni le mordant requis par Francesco, il n’en compose pas moins un réjouissant méchant de comédie, et son récit du cauchemar retient l’attention. De son côté, l’Amalia de la soprano américaine Lisette Oropesa attire tous les regards, affrontant avec bravoure une écriture pourtant périlleuse, conçue pour la légendaire Jenny Lind, le « Rossignol suédois ». On ne sait qu’admirer le plus chez cette fantastique chanteuse : sa musicalité, son cantabile, sa maîtrise du souffle, ses élans spinti, ou encore ses exquis ornements, comme dans la magnifique aria « Lo sguardo avea degli angeli ». Malgré le poids des ans et les ravages du temps sur le timbre, le grand Michele Pertusi n'en prête pas moins au personnage de Massimiliano la stature et les nobles accents que son personnage requiert. Enfin, la basse italienne Alessandro Spina – entendu dernièrement dans Il Pirata à l’Opéra de Monte-Carlo – se montre à la hauteur de la scène capitale où Moser affronte Francesco.
En fosse, l’excellent chef italien Michele Mariotti fait preuve de la fièvre et de l’audace dont on le sait coutumier, et il mène à bon port, d’une baguette aussi précise que contrastée, un Choeur et un Orchestre Philharmonique du Teatro alla Scala qui méritent les plus vives louanges... comme à l'accoutumée avec ces deux formations d'exception !
I Masnadieri de Giuseppe Verdi au Teatro alla Scala de Milan, disponibles en streaming sur le site de la RAI en cliquant ici.
14 mai 2020 | Imprimer
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