Streaming : Un bouleversant Vin herbé (de Frank Martin) au Welsh National Opera

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Le compositeur suisse Frank Martin (1890-1974) ne souhaitait pas que son oratorio Le Vin herbé (1941), d’après Le Roman de Tristan et Yseult de Joseph Bédier, fasse l’objet d’une mise en scène, du moins jusqu’à sa présentation en version allemande au Festival de Salzbourg en 1948. Avec quelques différences par rapport au célèbre ouvrage wagnérien, Tristan et Yseult la blonde boivent ici toujours le filtre d’amour (le fameux vin herbé...), provoquant la fureur du roi Marc dont ils demandent le pardon, mais le héros épouse Yseult aux blanches mains avant de mourir des suites d’une embuscade, et sans revoir Yseult la blonde. L’originalité de l’œuvre tient d’abord à la narration du récit, entre les douze voix solistes qui se partagent les personnages en plusieurs dispositions (solos, ensembles, etc.).

Confiée à Polly Graham au cours de la saison 16/17 du Welsh National Opera (où nous nous sommes rendus en février dernier), la mise en scène rejoint quelque peu le vœu initial du compositeur, par sa discrétion et son ascétisme calculé : seul un pont métallique – tour à tour navire ou château, et placé en hauteur derrière les musiciens – sert d’élément de scénographie, tandis que quasi aucun accessoire n’est ici utilisé. Le couple d’amants tragiques est vêtu de blanc, tandis que les autres protagonistes et les membres du chœur (omniprésents) sont eux vêtus d’oripeaux noirs, aussi simples qu’intemporels. Tout réside donc dans une magistrale direction d’acteurs, où le jeu oscille entre le déroulement lent de l’oratorio, des moments d’immense tendresse appelés par le texte, et des crises de violence cristallisées notamment dans des groupes sculpturaux d’une puissante expressivité, et chapeauté par une bouleversante scène finale où les amants ressuscitent pour se rejoindre dans l’éternité…

L’équipe vocale réunie à Cardiff se met avec abnégation au service d’une conception aussi retenue. Si le ténor étasunien Tom Randle déçoit en Tristan, tant il est fâché avec la justesse et que la voix détonne dès qu’elle monte dans l’aigu, on rend en revanche les armes devant l’Yseult la blonde de la mezzo-soprano australienne Caitlin Hulcup tant elle rayonne ici, tant vocalement que scéniquement. De son côté, Catherine Wyn-Rogers souffre, vocalement parlant, des outrages du temps, en Mère d’Yseult, tandis que la soprano galloise Sian Meinir offre une Yseult aux blanches mains plus en retrait que son alter ego. Enfin, le ténor britannique Howark Kirk campe un intense Roi Marc, à l’impressionnante autorité vocale.

Conduits par le chef britannique James Southall, les sept instrumentistes à cordes (plus un pianiste) rendent tout à fait justice à cette musique originale, forte, sombre, qui trouve un séduisant équilibre entre recherches rythmiques et leçons tirées du dodécaphonisme. De son côté, le Welsh National Opera Chorus ne mérite que des éloges pour ses nombreuses interventions (ici délivrés en anglais, puisque c’est la version traduite par Hugh MacDonald pour le Lyric Opera de Chicago en 2014 qui a été retenue...).

Une réussite exceptionnelle pour une œuvre à (re)découvrir d’urgence !

Emmanuel Andrieu

Le Vin herbé de Frank Martin au Welsh National Opera à (re)voir sur la plateforme Operavision jusqu’au 28 décembre 2020.

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