A l’instar du Grand-Théâtre de Genève qui avait affiché une « Trilogie du Diable » il y a une dizaine d’années, l’Opéra de Nice monte elle aussi sa Trilogie diabolique avec tour à tour The Rake’s progress d'Igor Stravinsky (en ce début mars), La Damnation de Faust de Berlioz (en avril) et Faust de Gounod (en mai). Eric Chevalier - que Mr Estrosi n’a pas jugé bon de renouveler dans son mandat… - en a confié la mise en scène au jeune acteur et metteur en scène Jean De Pange, dont on se souvient d’un brillant Pelléas et Mélisande à l’Opéra-Théâtre de Metz en 2008. Plus convenu, tout en étant de bonne facture, son travail tourne cette fois autour da la désormais classique mise en abîme du théâtre dans le théâtre : la scénographie (signée par Mathias Baudry) représente une succession de trois ou quatre cadres de scène qui peuvent se rétrécir tels un focus d’appareil photographique, tandis que comédiens et machinistes s’affairent sur les côtés du plateau comme si on était en pleine représentation… ce que l’on est par ailleurs, brouillant ainsi les frontières entre réalité et fiction. Pendant tout le spectacle, un immense balancier noir va et vient depuis les cintres en fond de scène, rappelant l’inéluctabilité de la déchéance et de la fin tragique du héros, qui meurt dans les bras de la bien-nommée Ann Trulove. Originalité de la production, la fameuse morale de l’histoire, chantée par tous les protagonistes à l'instar du finale de Don Giovanni, intervient après les saluts, offrant un rebondissement à la soirée auquel les plus pressés n’auront pas eu l’heur d’assister...
Le plateau offre d’abord l’attrait de trois prises de rôle pour des chanteurs français de grande qualité - et à la diction anglaise plus que convenable. Touchante Lisa (du Pays du sourire de Lehar) l’an passé à Avignon, Amélie Robins offre une Ann Trulove vocalement de premier plan, aussi lyrique et émouvante, dans son « Invocation à la nuit » qu’impeccablement brillante (jusqu’au contre-Ut final) dans les vocalises de la cabalette qui suit. Face à elle, le sémillant Julien Behr a exactement le profil physique de Tom, dont il possède la jeunesse et l’éclat. Avec son médium riche et son aigu vaillant, jusque dans sa longue scène finale, il réussit le difficile pari d’incarner cet anti-héros nuancé, à la fois faible et sincère, méprisable et attachant : une remarquable performance visiblement appréciée par le public niçois. Mais c’est néanmoins Nick Shadow qui domine ici, grâce au beau métier de Vincent Le Texier, excellent comédien, comme il nous l'a encore prouvé en décembre dernier avec une composition glaçante du personnage de Basilio (Il Barbiere di Siviglia) à l'Opéra de Saint-Etienne. Par ailleurs, son ample voix de baryton se montre capable de donner corps à l’ironie sardonique du diable, sans jamais forcer le trait. A côté d’une Mother Goose irréprochable, campée par la mezzo bulgare Kamelia Kader, d’un Trulove superbement endossé par la basse américaine Scott Wilde, et d’un Sellem délié qui a le profil plausible du manieur d’enchères (Frédéric Diquero), on est heureux de retrouver Isabelle Druet dans la partie de Baba (rôle qu'elle avait déjà interprété à Limoges il y a deux ans), qui - outre la beauté du chant -, s'avère être une comédienne de premier plan, dont réconfortent l’autorité et la justesse du jeu.
Un excellent Chœur de l’Opéra de Nice, bien investi dans les mouvements parfois complexes qui lui sont demandés, renforce la tenue du plateau. Celui-ci bénéficie du soutien constamment attentif et efficace du chef allemand Roland Böer qui - avec un Orchestre de l’Opéra de Nice impeccable (dans les parties solistes de vent notamment) - fait honneur à la géniale partition d’Igor Stravinsky.
The Rake’s progress d’Igor Stravinsky à l’Opéra de Nice, le 3 mars 2019
Crédit photographique © Dominique Jaussein
06 mars 2019 | Imprimer
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