Foule des grands soirs au Grimaldi Forum de Monaco, cette représentation de Tosca de Giacomo Puccini étant donnée exclusivement «Sur invitation du Palais» dans le cadre de sa Fête Nationale. Sitôt après l'apparition dans la loge princière de SAS le Prince Albert II, venu avec les principaux membres de sa famille, c'est à une minute de silence que le public a été convié, en hommage aux victimes des attentats de Paris, avant que l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, placé sous la direction de Carlo Montanaro, n'entonne l'hymne national monégasque «Despoei tugiù sciü d'u nostru paise».
Après Ernani à l'Opéra Royal de Wallonie, le mois dernier, comment ne pas être frappé par l'épure vers laquelle tendent désormais les mises en scène de Jean-Louis Grinda, beaucoup moins «chargées» que celles de ses débuts, mais toujours aussi flatteuses pour nos rétines, tout en bénéficiant d'une direction d'acteurs toujours aussi juste et sensible. La scénographie d'Isabelle Partiot-Peri s'avère ainsi plutôt sobre, mais capable - malgré l'économie de moyens - de recréer le climat théâtral de cet ouvrage centré autour des liens névrotiques qui se tissent entre les trois protagonistes. Le décor - composé essentiellement par deux éléments en demi-lunes - donnent une unité aux trois moments du drame (d'abord chapelle, puis prison et enfin Castel Sant'Angelo). S'y adjoignent la copie d'une fresque figurant la Madonne peinte par Bernardino Luini, au I, puis une reproduction du Viol de Lucrèce par Le Tintoret (évoquant la concupiscence violente de Scarpia), au II, tandis que le III arrache à la salle un murmure satisfait avec un calque géant de l'ange salvateur du Castel Sant'Angelo. Il faudra évoquer aussi la saisissante scène initiale et finale de la soirée, qui prend la forme d'une projection vidéo montrant Tosca qui se jette dans le vide depuis la terrasse du monument antique, dans une scène plus vraie que nature, avec la magnifique vision de ce corps en flottaison dans l'air.
On se surprend à penser que cette Tosca est comme Puccini l'aurait voulue: les affinités de l'homme de théâtre monégasque avec le compositeur italien reposent ainsi sur une théâtralité foisonnante, sur le goût des passions simples, sur l'attention extrême portée à la couleur locale et enfin sur le sens pictural.
Pour ce qui est de la partie vocale, devant la déception suscitée par le rôle-titre - la soprano autrichienne Martina Serafin - peut-être le célèbre opus puccinien aurait dû s'appeler ce soir Scarpia ou Caravadossi. Si l'actrice convainc de bout en bout, comment ne pas déplorer, en revanche, l'état actuel de sa voix, désormais affligée d'un vibrato pénible, d'un timbre devenu rêche et métallique, sans parler de suraigus systématiquement criés. Avec un tel handicap, comment être ému quand elle délivre son grand air «Vissi d'arte»...?
Le contraste est saisissant avec le Scarpia du célébrissime baryton gallois Bryn Terfel qui trouve certainement là, aux côtés de Wotan et Falstaff, son meilleur emploi. Vicieux, inquiétant, plébéien, son Scarpia est une brute sadique qui va jusqu'à provoquer le malaise, alors que la voix s'avère toujours aussi magistrale, en particulier dans un Te Deum d'anthologie. Quant à Marcelo Alvarez, qui semble avoir mangé du lion ce soir, il chante Caravadossi avec autant de brio que d'aisance dans les pages lyriques (avec un élégant et poétique «Recondita armonia»), que dans les moments héroïques (avec un vibrant et éclatant «Vittoria»). Un bémol à sa prestation cependant, la gestuelle de l'argentin continue à se réduire à trois poses – bras écartés ou croisés et main sur le cœur -, ce qui est assez vite agaçant. Enfin, parmi les rôles dits secondaires, signalons la belle présence de la basse italienne Alessandro Guerzoni en Angelotti.
Pour Daniel Oren initialement annoncé, c'est donc l'ancien directeur de l'Opéra de Varsovie (le fameux Théâtre Wielki) qui est au pupitre. Le chef italien sait illuminer et conférer toute leur plénitude aux timbres et aux harmonies du chef d'œuvre de Puccini, donnant à la phalange monégasque sa couleur et sa dynamique exactes, et au chant sa juste respiration. Une direction équilibrée, sans effet, dont se dégage toujours une authentique émotion, et à laquelle répondent parfaitement un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo en état de grâce, et un Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo doublé d'une Chorale de l’Académie de musique Rainier III impeccables d'homogénéité.
Malgré une soprano problématique, une soirée digne de rentrer dans les annales (lyriques) de la Principauté.
Tosca de Giacomo Puccini à l'Opéra de Monte-Carlo (Grimaldi Forum), les 16, 19 & 22 novembre 2015
Crédit photographique © Alain Hanel
22 novembre 2015 | Imprimer
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