C'est une triple (très bonne) surprise qu'a constituée cette Tosca à l'Opéra-Théâtre de Saint-Etienne, avec un ténor, une soprano et un chef dont on n'a pas fini d'entendre parler. Quant à la proposition scénique du marseillais Louis Désiré – qui a également signé décors et costumes –, elle s'avère fort austère. Il a délibérément choisi de souligner les aspects anxyogènes de l'intrigue, en mettant en exergue la noirceur et la brutalité de Scarpia. Le propos est sombre et menaçant, ne ménageant aucune porte de sortie, ce que vient accentuer la scénographie d'un noir oppressant, notamment dans les actes II et III. C'est très efficace, mais la scène finale qui voit Floria Tosca disparaître derrière le rideau de scène déçoit par son manque de dramatisme (elle est tout de même censée se suicider à cet instant précis...).
Il faut ici saluer le travail (et plus encore le flair) de Jean-Louis Pichon - désormais en charge des distributions vocales dans la maison stéphanoise - qui a su découvrir deux pépites pour incarner le couple au destin tragique. Pour sa prise de rôle, la jeune cantatrice française Vanessa Le Charlès confirme d'emblée – pour sa première (importante ) apparition sur une scène lyrique – qu'elle a toutes les cartes en main pour triompher dans les emplois de soprano dramatique. Son chant techniquement sûr et son tempérament volontaire lui permettent de dominer avec aisance les écueils de la tessiture, à l'exception de quelques tensions dans l'extrême aigu, qui confinent parfois au cri. Une fois résolu ce problème, on tient là une digne rivale (française) à la formidable Catherine Hunold.
Le jeune ténor français Thomas Bettinger constitue, plus encore que sa collègue, une authentique révélation. Comment ne pas penser au jeune Alagna en l'écoutant, et ce dès son premier air Recondita armonia : beauté du timbre, générosité des accents, aisance dans le registre aigu, musicalité hors pair, forte présence scénique, le chanteur bordelais a déjà tout pour lui, et nous lui prédisons une belle carrière... s'il ne se cantonne pas - alors qu'il débute iégalement sur scène - aux rôles pucciniens (son prochain contrat est Pinkerton à l'Opéra de Reims..).
Le vétéran égypto-britannique Peter Sidhom (67 ans au compteur et plus de 160 incarnations du rôle !) campe un formidable Scarpia, et tient là un emploi qui lui convient idéalement, à ce stade de sa carrière. Le jeu est sobre, jusqu'à l'introversion ; au II, la monstruosité latente n'en est que plus effrayante, d'autant que la voix n'a rien perdu de sa rondeur et de son éclat dans ses deux extrémités. Formidable Angelotti d'Antoine Garcin dont on comprend qu'il fut consul de la République avant son incarcération, et parfait Sacristain de l'infatigable baryton-basse Christian Tréguier. Quant aux comprimari (Antoine Normand et Jean-Marc Salzmann), leur prestation respective s'avère tout à fait honorable. Notons encore la très bonne tenue du Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire, plus qu'épaulé par la Maîtrise du Conseil départemental de la Loire.
Enfin, Eric Blanc de la Naulte – nouveau directeur général de l'institution stéphanoise – a eu la main heureuse en nommant David Reiland comme Premier chef invité de l'Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, car voilà un jeune espoir de la baguette absolument digne de succéder à l'excellent Laurent Campellone, l'ancien directeur musical de l'OSSEL qui a démissionné de sa fonction en mai dernier. De fait, Reiland livre la lecture la plus aboutie du chef d'œuvre de Puccini que nous ayons entendue : attentif au moindre détail instrumental, au moindre changement d'atmosphère dans la fosse, le chef belge maintient de bout en bout la cohésion et la force du discours puccinien, avec un sens admirable de l'architecture sonore. Même s'il est difficile, dans une démarche aussi cohérente, de détacher tel ou tel passage, on signalera un extraordinaire prélude de l'acte III, baigné d'une tristesse toute malhérienne.
Au bilan, une grande soirée de musique et de chant à Saint-Etienne !
Tosca de Giacomo Puccini à l'Opéra-Théâtre de Saint-Etienne, le 10 novembre 2015
Crédit photographique © Cyril Cauvet
13 novembre 2015 | Imprimer
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