Si nous avions beaucoup aimé sa mise en scène de L’Italienne à Alger à Avignon et sa production des Contes d’Hoffmann in loco, nous devons avouer notre circonspection vis-à-vis du nouveau travail scénique de Nicola Berloffa - Un Ballo in maschera de Giuseppe Verdi proposé ces jours derniers à l’Opéra de Toulon (après avoir été étrenné au Théâtre de Pavie) – qui réserve, hélas, moins de bonheur. Le metteur en scène italien transpose l’intrigue dans l’Amérique des années 1860-70 à l’époque de l’assassinat d’Abraham Lincoln, qui est d’ailleurs reproduit sous forme de pantomime pendant l’Ouverture. S’ensuivent des scènes où aucun des clichés associés à l’Amérique de l’époque ne nous est épargnés et qui ne peuvent tenir lieu de mise en scène. Ulrica est ainsi la chamane d’une tribune indienne assise auprès de son fourneau et l’on repassera pour l’effroi que la scène est censée produire sur le spectateur... à l’instar de celle de l’« orrido campo », au II, qui se déroule devant une anodine palissade... Les conspirateurs sont habillés en cow-boys - façon Lucky Luke - avant de se grimer en iroquois au moment du bal masqué final, scène qui se déroule sans bal ni masques... Bref aucune perspective n’est offerte ici, à part une surenchère aussi décorative que douteuse…
Le plateau vocal apporte de toutes autres satisfactions, à commencer par la soprano bulgare Alex Penda - superbe Margherita (Mefistofele) l'an passé au Festival de Pentecôte de Baden-Baden - qui s’avère une solide Amelia. Elle apporte à son personnage une réelle intensité dramatique, avec un chant dont l’énergie naturelle sait, aussi, s’accompagner de belles nuances et de belles couleurs. Le ténor urugayen Gaston Rivero - beau Ismaël en début de saison à l'Opéra de Monte-Carlo - lui répond avec tout autant d’énergie, mais avec cependant moins de raffinement : la vaillance des accents prime chez lui sur le sens du phrasé, si important chez Verdi, et l’on peut également regretter un jeu de scène assez banal. Ces qualités conjointes du jeu et de style, son compatriote Dario Solari les possède, en revanche, au plus haut point : l’allure en scène, la dignité du chant, le mordant des accents, tout concourt à faire de ce Renato tour à tour fraternel, blessé et arrogant, un personnage d’une grande complexité.
Anna Maria Sarra trouve sa place au sein de cette distribution aguerrie, en composant un Oscar enfin débarrassé des minauderies et des grelots qui, trop souvent, s’attachent au Page. La jeune soprano italienne lui confère une vivacité, un naturel, une fraîcheur vocale qui le font passer aussitôt du rang des bibelots superflus à celui des protagonistes de premier plan. De son côté, la mezzo albanaise Enkelejda Shkosa confère à Ulrica une autorité et une noirceur impressionnantes, avec une voix homogène sur toute son étendue, aussi large et belle dans l’extrême grave de « Re dell’abisso » que dans l’aigu. Des rôles de compléments, on retiendra notamment le Silvano de Mikhael Piccone, à la superbe voix de Baryton. Enfin, le Chœur maison est digne de tous les éloges.
En plus d’interprètes à la hauteur de l’enjeu, Un Ballo in maschera exige un grand chef d’orchestre, capable d’en traduire les tonalités opposées, tout en en respectant l’implacable progression dramatique. Le chef israélien Rani Calderon - déjà présent dans la fosse toulonnaise pour un Don Giovanni de haut vol en mai 2014 - réussit parfaitement à donner ce souffle d’ensemble, qui relie entre eux des personnages très variés et des tableaux très contrastés.
Un Ballo in maschera de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Toulon (janvier 2017)
Crédit photographique © Frédéric Stephan
03 février 2017 | Imprimer
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