Un Cav/Pag terriblement humain à l'Opéra national du Rhin

Xl_cavpag © Klara Beck

Alors que La Bohème conclue le mandat de Frédéric Roels à l’Opéra de Rouen Normandie, c’est un autre titre phare du vérisme qui achève celui de Marc Clémeur à l’Opéra national du Rhin : le duo Cavalleria Rusticana / I Pagliacci. Responsable d’une production très remarquée de Quai Ouest (de Régis Campo) ici-même en 2014, Kristian Frédric – un ancien assistant de Patrice Chéreau – signe une mise en scène d’une grande efficacité dramatique, en plongeant les spectateurs dans l’Italie des films néoréalistes de Fellini, Pasolini ou Risi, évoquée par Bruno de Lavenère à travers un impressionnant décor qui mue pendant l’entracte. Si Cavalleria est transposé dans un bidonville de la banlieue romaine des années cinquante, une barre de béton HLM des années soixante-dix la remplace dans I Pagliacci. Frédric a pris soin de jeter des passerelles entre les deux ouvrages ; il les unit d’abord par un titre qui s’affiche en grand sur le rideau de scène alors que le public s’installe : « Les labours de la souffrance, parties I et II ». Par ailleurs, il fait de Silvio (l’amant de Nedda) le fils de Turridu, qui meure égorgé à l’instar de son père : le tragique destin familial culmine dans le suicide par balle de la mère à la vision de son enfant mort. Le spectacle n’élude rien de la violence et du sordide contenus dans les livrets, mais il les accentue au contraire, en les modernisant, à l’image de cette jeune fille qui bave une substance blanchâtre après une overdose. Bref, Frédric nous montre une humanité souffrante dont la précarité ne peut que conduire au drame…

Ces deux spectacles offrent un cadre idéal à Stefano La Colla qui affronte ici les personnages de Turridu et de Canio le même soir. Après quelques problèmes de justesse en début de représentation, le jeune ténor italien franchit l’épreuve haut la main, avec un chant viril et généreux. Débutant dans le rôle de Santuzza, la mezzo française Géraldine Chauvet fait valoir une richesse dans le médium qui ne saurait compenser un aigu plutôt incertain, dans une tessiture qui ne semble pas vraiment adapté à ses moyens. Par ailleurs, trop concentrée sur son chant, le jeu de l’actrice en pâtit. Déjà entendue dans le rôle à l’Opéra Grand Avignon en mai 2014, la soprano roumaine Brigitta Kele renouvelle notre enthousiasme en Nedda, ici interprétée avec une sensualité solaire et les plus suaves mezze voci. De son côté, le baryton italien Elia Fabbian se montre plus convaincant en Tonio qu’en Alfio, personnage pour lequel la voix manque du mordant nécessaire. Avec sa plastique de star hollywoodienne et sa voix chaude, la mezzo nivernoise Lamia Beuque est tout simplement parfaite en Lola, tandis que la légende du chant polonais qu’est Stefania Toczyska a conservé suffisamment de moyens pour tracer un portrait crédible en Mama Lucia. Impeccables, enfin, le limpide Beppe d’Enrico Casari et le Silvio incisif de Vito Priante.

A la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg et d’un Chœur de l’Opéra national du Rhin irréprochables, le chef italien Daniele Callegari confirme une nouvelle fois ses affinités avec l’opéra vériste, et empoigne les deux partitions à bras le corps, tout en respectant les chanteurs. Il donne ainsi toute sa légitimité à cette musique, en la préservant de toutes les facilités qui la font souvent qualifier de « vulgaire ».

Emmanuel Andrieu

Cavalleria Rusticana (Mascagni) & I Pagliacci (Leoncavallo) à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 25 juin 2017

Crédit photographique : Alain Kaiser

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