Pour sa première production lyrique de la saison 19/20, le choix de l’Opéra de Saint-Etienne s’est porté sur l' « Opéra des opéras » (dixit Richard Wagner), Don Giovanni de Mozart, donc, dans une nouvelle régie signée par l’homme de théâtre français Laurent Delvert. Cet ancien assistant de Ivo van Hove et de Thomas Ostermeier livre un travail certes (parfois) intéressant, mais également irritant et frustrant, car on reste ici in fine sur sa faim, le spectacle se révélant assez inabouti. Fuite éperdue du temps, course à l’abîme aussi, atmosphère on ne peut plus glauque, Delvert modernise le mythe, l’actualise à notre univers, en situant l’action dans des bas-fonds (entre dessous de pont lépreux et gare souterraine lugubre…), maigrement éclairés par une lumière blafarde, que diffusent des panneaux publicitaires faisant l’apologie de la malbouffe (des hamburgers, en l’occurrence) ou proposant de la lingerie intime (féminine comme masculine) – autant de symboles de notre société de consommation et des désirs primitifs qu’elle flatte... Là règnent quelques loubards qui vivent de rapines et violent volontiers les passantes venues s’y perdre (la camériste de Donna Elvira est la première à en faire les frais…), Don Giovanni étant bien évidemment le chef de bande, sadique et débauché, pour lequel le metteur en scène n’a pas plus d’indulgence que feu Patrice Chéreau. Cette tonalité glauque et triste sera la seule du spectacle, la dimension « buffa » de l’ouvrage étant ici complètement écartée. Par ailleurs, nouvelle lubie des metteurs en scène depuis quelques temps, les costumes sont tout ce qu’il y de plus hétéroclites, dans leurs styles comme dans leurs époques, façon de mieux appuyer l’universalité et l’intemporalité du propos, ce qui est un peu facile…
En loubard de quartier malfamé, le baryton polonais Michal Partyka – Onéguine particulièrement acclamé sur cette même scène il y a deux saisons – s'impose très naturellement, grâce à un jeu particulièrement convaincant et à une autorité vocale affirmée, capable aussi de demi-teintes, comme dans la célèbre sérénade « La ci darem la mano ». Avec Guilhem Worms, excellent comédien, l’aspect poltron de Leporello est très accentué ; la voix souple, au timbre clair mais séduisant, est en harmonie avec la caractérisation du rôle. Seul Italien de la distribution, le baryton Matteo Loi impose d’emblée une voix de qualité et une présence scénique en Masetto. Le jeune ténor français Camille Tresmontant fait une belle impression, car il possède la fluidité vocale que requiert le personnage de Don Ottavio, et l’on regrette dès lors de le voir contraint à faire l’économie du superbe « Della sua pace »... De son côté, s’il délivre un Commandeur sonore, la basse syrienne Ziyan Atfeh n’a pas exactement les graves profonds qui sont habituellement associés à sa partie. Chez les dames, Clémence Barrabé campe une remarquable Donna Anna, au beau legato, doublé d’une belle agilité et d’une louable puissance vocales : elle sait donner de beaux accents au toujours très attendu « Or sai chi l’onore ». Principale satisfaction de la soirée, la délicieuse Norma Nahoun – tendre Jacqueline (Fortunio de Messager) ici-même en 2014 – montre un savoir-faire musical et une fraîcheur en scène qui sont à rajouter à la beauté et la luminescence du timbre. A contrario, celui de Marie-Adeline Henry se fait acide dans l’aigu, et c’est d’autant plus dommage qu’elle livre par ailleurs une Donna Elvira passionnée, vocalement solide, avec sa voix corsée et ses médiums charnus.
Chef principal de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire depuis avril dernier, le chef italien Giuseppe Grazioli propose une lecture du chef d’œuvre mozartien, souvent lente, mais toujours intensément présente : attentif et modeste, il assure la continuité et la force de l’ensemble.
Don Giovanni de W. A. Mozart à l’Opéra de Saint-Etienne (novembre 2019)
Crédit photographique © Cyrille Cauvet
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