Comment ne pas commencer cette recension – qui a pour objet un Elixir d’amour de Gaetano Donizetti à l’Opéra des Landes – sans saluer la détermination, le courage et l’abnégation d’Olivier Tousis, directeur-fondateur de la manifestation lyrique estivale depuis dix-neuf ans maintenant ! Car il en aura fallu des écueils à franchir et des problèmes administratifs à résoudre pour que le festival ait lieu… avec quelques aménagements nécessaires. Le plus visible pour nous, et ce ne sont pas les spectateurs qui s’en plaindront, c’est d’avoir troqué l'Espace Roger Hanin (salle sans âme) à Soustons, où nous avions assisté l’an passé à une hilarante représentation de La Belle-Hélène, pour le magnifique Parc de La Pandelle, au milieu duquel trône une superbe demeure bourgeoise qui sera le lieu où se déroule toute l’action.
Comme à sa bonne habitude, le maître des lieux signe lui-même la mise en scène, aidé par son compagnon belge Kristof T’siolle pour la scénographie, et qui fait même, pour l’occasion, quelques entrées remarquées, en jardinier mais surtout en notaire funambule… Le chœur a été ici supprimé, remplacé par quelques interventions des solistes (voire des instrumentistes), et les dialogues ont été traduits en français pour plus de compréhension (même si un système de surtitrage a été mis en place...). Prenant le livret original à la lettre (Le Philtre d’Auber), il situe donc l’action « dans les campagnes de l’Adour », fleuve qui coule tranquillement vers l’océan à quelques encablures de là. Il la transpose dans les années 70, ce dont attestent les costumes très colorés, tout en respectant ce que la musique porte en elle de fantaisie et d’humour. Les gags et scènes farfelues s’enchaînent ainsi à un bon rythme, le clou d’entre eux étant l’arrivée de Dulcamara grimé en Dr Raoult à bord d’une 2CV décapotée et d’un rouge pétard, mais l’arrivée à la verticale du Notaire depuis une fenêtre fait aussi son petit effet, soutirant du public des Oh et des Ahhh…
Quel bonheur de retrouver Pierre-Emmanuel Roubet dans le rôle de Nemorino, après l’avoir quitté dans celui de Monsieur Choufleuri (Offenbach) à l’Opéra de Monte-Carlo ! Certes, la voix n’est pas d’une folle projection, mais le timbre est incroyablement charmeur, et il possède ce sens du phrasé et surtout cette grazia dans la conduite de la ligne que Donizetti réclamait. Son grand air « Una furtiva lagrima » dispense toute l’émotion escomptée, et il reçoit un légitime triomphe après son exécution. Remarquée grâce à sa Reine de la nuit à Tours, Marie-Bénédicte Souquet campe une pétillante et sensuelle Adina, avec un chant parfaitement maîtrisé, riche en nuances, et techniquement très propre, même si quelques aigus paraissent légèrement détimbrés. Véritable bête de scène (nous le retrouverons le mois prochain dans le personnage de Rigoletto au Festival Durance Luberon), le baryton français Kristian Paul mord avec délice le rôle de Dulcamara, enchaînant les phrases les plus acrobatiques avec une brillante facilité, et son sens du comique fait plus que jamais merveille. Dans celui de Belcore, Frédéric Cornille est également épatant, évoluant comme un poisson dans l’eau dans son personnage de kéké macho et séducteur, auquel il prête par ailleurs des vocalises soignées et un style contrôlé. Enfin, la jeune Anaïs de Faria donne une présence inhabituelle au rôle souvent sacrifié de Giannetta, et un bel avenir lui semble promis, avec sa voix fraîche et joliment timbré.
Pas de formation orchestrale cette fois, pour les raisons que l’on sait, mais un épatant quatuor composé du chef lyonnais Philippe Forget, du pianiste Mathieu Pordoy, du trompettiste Yannick Belkanichi et de la percutionniste Corinne Barreyre. Une belle complicité les unit, et leur talent fait vite oublier l’absence d’orchestre, et ce n’est pas par hasard s’ils sont applaudis avec autant de ferveur que les chanteurs !
Un mot, en guise de conclusion, sur le concert de la veille, à l’église de Capbreton, où se produisait le jeune Quatuor (vocal) Ibaï, composé de la soprano Manon Lamaison, de la mezzo Elise Duclos, du ténor Iannis Gaussin et du baryton Thibaut Daquin. Dédié aux poètes, de Pierre de Ronsard à Jacques Prévert, les musiques sont de la plume de compositeurs aussi variés que Roland de Lassus, Claude Debussy ou Joseph Kosma. Avec des textes et des époques aussi différents, le mélange aurait pu ressembler à un patchwork, mais l’unité de conception du concert, et l’alternance bien étudiée des divers éléments, à commencer par la fusion des voix, font que ce concert a été une grande réussite. Dommage néanmoins que le public ait été si clairsemé au sein de la magnifique bâtisse gothique de la station balnéaire landaise…
L’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti à l’Opéra des Landes (Soustons), jusqu’au 29 juillet 2020
Crédit photographique © Frank Mage / Opéra des Landes
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