Le bel écrin du Théâtre du Capitole propose avec cette production de L'Enlèvement au sérail – qui a d’abord voyagé à Lausanne et à Tours, maisons coproductrices du spectacle – une réalisation non moins ravissante (et plutôt classique) pour le plus grand bonheur des toulousains qui n’ont pas boudé leur plaisir au moment des saluts. L’Enlèvement au sérail, il est vrai, se prête au jeu des travestissements et Tom Ryse, le concepteur helvétique de cette production, l’a bien compris en signant une mise en scène constamment attachée à animer et à mettre en valeur un opéra qui parmi ceux de W. A. Mozart est peut-être un des plus limpides. Cette clarté, qui ne supporte pourtant ni le schématisme, ni l’excès de légèreté, Tom Ryse l’inscrit, comme il se doit, dans un univers qui la dépasse et la fonde tout à la fois : celui d’un orient apparemment convenu, avec la barbarie et l’éclat, la luminosité et la mort… tout un système manichéen où le balancement de perpétuel entre une idée et son contraire est un garant d’efficacité expressive. Puisque dans la musique, Mozart passe allègrement de la turquerie de pacotille à la mélancolie de la chanson populaire à l’allemande, puisqu’il n’hésite jamais à entrelacer le grand opera seria et le singspiel, l’homme de théâtre suisse le suit avec une aisance et une conviction tout à fait séduisantes.
Avec une très belle scénographie – signée par David Belugou et composée de grandes tentures aux motifs ottomans -, la mise en scène propose une vision comme éblouie de cette partition éblouissante. La verve et la truculence d’Osmin sont superbement interprétées par la basse allemande Franz-Josef Selig, à qui le Pedrillo du ténor russe Dmitry Ivanchey donne une réplique pleine de charme et de fraîcheur. La soprano israélienne Hila Fahima, ravissante Blondchen, virevolte un peu trop de la voix et du geste – son chant manque un peu d’assise et de cette sensation de sécurité qui conforte aussi l’auditeur -, mais son jeu est fin et spirituel. A ces trois « légers » parfaitement cadrés dans le décor, le couple Belmonte-Constance oppose une densité musicale et psychologique bien adaptée. Le jeune ténor suisse Mauro Peter sait utiliser un timbre franc et joliment coloré pour conférer à son personnage un style parfait et une intelligence qui donne son sens à chaque phrase. Face à lui, la soprano canadienne Jane Archibald est une Constance ardente et concernée, chez qui le beau chant vient comme en surplus, portée par une musicalité véritablement intériorisée : et c’est sans doute la plus grande difficulté de ces arie si ardues dans l’escalade des vocalises et qui cependant doivent rester rêveuses et hallucinées. Enfin, Tom Ryse incarne lui-même le rôle (parlé) de Selim Pacha auquel il confère une forte humanité.
Placé sous la direction de Tito Ceccherini, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse se révèle un des grands triomphateurs de la soirée. Le chef italien marie avec un art consommé l’approche symphonique d’une formation traditionnelle aux impératifs d’une relecture à l’ancienne. Magnifique de souplesse, de présence et de relief sonore, une telle lecture donne à la partition un sérieux coup de jeune, car elle en souligne les nombreuses audaces instrumentales qui annoncent celles des réussites postérieures.
L’Enlèvement au sérail de W. A. Mozart au Théâtre du Capitole, jusqu’au 5 février 2017
Crédit photographique © Patrice Nin
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