Un Joueur de Prokofiev peu lisible mais bien chanté à l'Opéra de Flandre

Xl_lejoueur © Annemie Augustijns

Sans l’humour et la palette harmonique de L’Amour des trois oranges, Le Joueur - composé entre 1915 et 1917 puis révisé en 1929 avant sa création (en français) à La Monnaie de Bruxelles - possède les qualités que Sergueï Prokofiev affirmait rechercher dans son écriture : la simplicité et la clarté dans l’expression des idées. Dans l’adaptation de la nouvelle éponyme de Fiodor Dostoïevski, les événements s’enchaînent à un rythme frénétique : le mouvement perpétuel de la roulette et l’obsession du jeu sont traduits par la répétition systématique de cellules musicales délirantes qui, dans le scène finale, emportent toutes les autres sur son passage.

Après l’Opéra de Monte-Carlo il y a deux saisons, c’est l’Opéra de Flandre qui en propose une nouvelle production, avec moins de réussite cependant. La faute à la réalisation scénique, confiée à la femme de théâtre allemande Karin Henkel (une spécialiste de Dostoïevski dont elle a monté Crime et châtiment à Hambourg et L’Idiot à Cologne), qui n’échappe pas à certains « tics » du théâtre actuel : le héros est dédoublé par un danseur et le décor unique (d’une chambre d’hôtel) est ici triplé à l’identique... (photo). Sa mise en scène sort certes des sentiers battus, mais n’aide pas vraiment à suivre l’intrigue, ni à mieux comprendre les motivations des personnages, hors peut-être lors de la scène finale, dite « de la roulette », réglée avec efficacité, et dans laquelle tous les personnages sont pris de TOC tandis que le héros, ou plus exactement son double, reçoit une avalanche de jetons sur la tête à chaque nouveau succès à la roulette.

Cette scène fiévreuse et diabolique - où le héros Alexis, précepteur au service d’un général, joue son va-tout de flambeur - est chantée par le ténor tchèque Ladislav Elgr, en évidente méforme ce soir (voix engorgée et aigus plafonnés), alors qu’il avait enthousiasmé in loco dans le rôle de Sergueï (Lady Macbeth de Mzensk) en 2014. Cela arrive… De leurs côtés, la basse étasunienne Eric Halfvarson impose sa stature et ses graves dans le personnage du Général, tandis que la mezzo allemande Renée Morloc donne tout son relief à Baboulenka, la grand-mère excentrique qui s’avère incapable de résister à l’appât du gain. La soprano russe Anna Nechaeva prête sa voix opulente et rayonnante à Pauline, ainsi que ses grandes qualités de comédienne. Enfin, Kai Rüütel offre un fascinant portrait de Blanche, demi-mondaine sans scrupule et hypocrite, tandis que Michael J. Scott darde d’insolents aigus dans la partie du Marquis.

A la tête d’un Orchestre symphonique de l’Opéra de Flandre rutilant, son directeur musical Dmitri Jurowski distille une lecture au scalpel, capable de faire ressortir les reflets sardoniques de la partition du compositeur russe. Après le succès rencontré par sa direction de Sadko (Rimski-Korsakov) ici-même l’an passé, il confirme ses affinités avec le répertoire de sa patrie d’origine.

Emmanuel Andrieu

Le Joueur de Sergueï Prokofiev à l’Opéra de Flandre, jusqu’au 7 juillet 2018

Crédit photographique © Annemie Augustijns

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