Pour la troisième année consécutive, nous nous retrouvons au Festival della Valle d'Itria, à Martina Franca, dont les vieilles ruelles sont elles-mêmes un vrai décor de théâtre. La 55ème édition propose essentiellement, comme à son habitude, des raretés la plupart du temps jamais jouées depuis leur création, mais ce n’est cependant pas le cas ce soir avec le titre le plus fameux de Domenico Cimarosa, Il Matrimonio Segreto, dont nous avons par exemple pu voir une production il y a deux saisons à l’Opéra national de Lorraine.
C’est à l’infatigable (et bientôt nonagénaire !) Pierluigi Pizzi qu’Alberto Triola (le non moins infatigable directeur artistique de la manifestation apulienne) a confié le soin de mettre en scène ce petit bijou d’humour, resté célèbre pour avoir été exécuté deux fois d’affilée le soir de la première (au Burgtheater de Vienne en 1792), à la demande expresse de l’Empereur Léopold II, transporté au plus haut degré d'admiration. Et nous ne pouvons que partager son enthousiasme, à l’écoute de cette musique pétillante, mousseuse, superbement orchestrée, d’un rythme échevelé, moderne dans sa conception… et avec des finale impressionnants ! Il faut beaucoup de talent et une précision sans faille pour interpréter cet opéra, mais l’on pouvait faire confiance au jeune prodige italien Michele Spotti (26 ans !) pour donner à la partition de Cimarosa la vivacité et le panache qu’elle requiert. Applaudi par trois fois dans l’Hexagone lors de la dernière saison lyrique (Il Barbiere à Saint-Etienne, Don Pasquale à Montpellier et tout dernièrement Barbe-Bleue d'Offenbach à Lyon), il renouvelle notre enthousiasme : c’est d’abord un bonheur visuel que de le voir diriger, couvant du regard chacun des protagonistes (avec lesquels il chante, à l’unisson, tous les airs !), tout autant que chacun des pupitres, respirant avec la musique, et comme (trans)portée par elle… Les musiciens - ceux du fameux Teatro Petruzelli de Bari - entrent avec manifestement beaucoup de joie dans son jeu, et manifestent même leur plaisir, qui se traduit musicalement par des moments survoltés, entrecoupés par des moments de pure tendresse... car les deux alternent bel et bien dans Il Matrimonio !
Vocalement parlant, on est également à la fête, alors que la partition n’est pas toujours aisée, avec sa profusion d’ensembles, l’une de ses principales originalités. Et les arie peuvent poser problème du fait de leurs nombreux ornements, mais le plus gros défi reste toutefois la multiplication de ces ensembles à trois, à quatre, ou même à six voix, exigeant de leurs interprètes des lignes vocales impeccables et un sens harmonique très sûr. A ce jeu-là, la palme revient à l’éblouissante soprano italienne Benedetta Torre (Carolina) qui offre aux auditeurs un timbre de toute beauté (avec un médium aux couleurs moirées), et une technique déjà aguerrie qui lui permet de déployer des aigus filés qui nous ont fait courir maints frissons le long de l’échine. Sa sœur Elisetta est interprétée par sa compatriote Maria Laura Iacobellis qui dispose d’un timbre moins rare, mais la même époustouflante agilité dans le registre aigu, ce qui nous vaut un « Se son vendicata » qui se transforme ici en authentique feu d’artifices ! Le rôle de leur tante Fidalma échoit à la mezzo brésilienne Ana Victoria Pitts qui connaît quelques difficultés dans les aigus de sa partie, en début de soirée, mais elle se rattrape ensuite, surtout grâce à ses talents d’actrice. Sa vis comica fait particulièrement merveille au moment où, telle une cougar, cette femme sur le retour (mais toujours tiraillée par ses sens...) se jette sur le jeune et appétissant Paolino, qui n'a de cesse de lui enlever les mains qu’elle laisse balader sur son postérieur et sa braguette ! Ce dernier personnage est superbement chanté par le ténor australien Alasdair Kent, qui fait valoir un timbre suave de lirico-leggero, mais cependant d’une puissance et d’une projection remarquables, n’ayant pas de peine à passer la rampe de la vaste cour du Palazzo Ducale. De son côté, le baryton italien Marco Filippo Romano (Geronimo) campe un chef de maisonnée totalement dépassé par les événements : ses mimiques expressives sont hilarantes, et la voix n’est pas en reste, avec notamment une assurance dans le chant sillabato qui a de quoi impressionner. Enfin, bondissant comme toujours en formidable comédien-né qu’il est, Vittorio Prato s’en donne à cœur-joie, tout heureux de chanter dans ses Pouilles natales (il a grandi dans la proche ville de Lecce) ! Vocalement parlant, ll offre au Comte Robinson sa superbe tierce grave, sa belle pâte vocale et son phrasé enveloppant.
Dernier bonheur de la soirée, la mise en scène pleine de vivacité, de jeunesse, de drôlerie et de fraîcheur d’un homme qui fêtera l’an prochain ses 90 printemps ! Dans un décor tripartite très simple qu’il a lui-même conçu (de même qu’il signe les élégants costumes de la production), Pizzi transpose l’intrigue dans une sorte de soap opera, et l’on assiste aux grands et petits malheurs d’une famille bourgeoise vivant dans une demeure cossue (alla Dallas et autre Dynastie, mais en moins scabreux et surtout en plus souriant !..). Sans trahir le livret, et en insistant avec bonheur sur la dimension bouffe, le célèbre homme de théâtre italien parvient surtout à donner à cette histoire le rythme trépidant qu’elle requiert, avec un sens du détail qui réjouit plus d’une fois un auditoire conquis… qui lui fait une interminable fête - ainsi qu'au reste de l’équipe artistique - au moment des saluts. Bravi tutti !
Il Matrimonio segreto de Domenico Cimarosa au Festival della Valle d'Itria (Martina Franca), jusqu’au 3 août 2019
Crédit photographique © Paolo Conserva
02 août 2019 | Imprimer
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