Un Otello de grand format vocal à l'Opéra de Saint-Etienne

Xl__dsc5355-71 © Louis Perrin

Comme le souligne amèrement, en préambule à la soirée, Eric Blanc de la Naulte (le directeur général de l’Opéra de Saint-Etienne qui vient tout juste d'annoncer sa prochaine saison 2021-22), il aura donc fallu « attendre 16 mois » pour qu’une production lyrique prenne à nouveau vie sous les yeux du public stéphanois au Grand-Théâtre Massenet. De la saison 20/21, Otello sera donc le seul ouvrage rescapé de cette effroyable crise sanitaire, mais il sera triomphal, grâce à sa qualité artistique mais aussi par le besoin viscéral qu’éprouvait l’audience de réentendre de la musique « ensemble ». Emotion encore car la production est signée par le regretté Stefano Mazzonis Di Pralafera, l’ancien directeur de l’Opéra Royal de Wallonie, et son collègue stéphanois tient à lui dédier la soirée (ainsi qu’à un membre du chœur maison récemment disparu), demandant au public non pas une minute de silence mais trente secondes d’une ovation debout?

Cette production signée par l’homme de théâtre italien, nous l’avions déjà vue dans son fief de Liège il y a tout juste quatre ans ; elle est ici reprise par son ancien assistant Gianni Santucci. Le spectacle original n'a subi aucune altération entre temps, et il contentera les « classiques », même si la représentation de l’orage et de la mer - par une large douche italienne pour l’un et un aquarium rempli de poissons rouges pour l’autre - prêtent toujours autant à sourire, de même que les déplacements des deux principaux héros sur des praticables à roulettes, symboles de leur statut de pantins manipulés par Iago...

Le plateau vocal est un vrai régal. Pour sa prise de rôle, le ténor autrichien Nikolaï Schukoff tient l’ensemble de la production par sa très forte et singulière présence, campant un Otello enfermé dans ses contradictions et son aveuglement : intériorisé, intelligent, malheureux, compulsif, et contrôlant un beau legato pour mieux faire valoir des explosions de violence également parfaitement maîtrisées. On connaît bien la vaillance du baryton brivois André Heyboer, qui prête ici à Iago ses impressionnantes ressources. L’énergie qu’il déploie, et en premier lieu dans son célèbre « Credo », donne à chacune de ses interventions une force théâtrale peu banale. Après son éblouissante Marguerite de Faust in loco il y a trois saisons, la voix de Gabrielle Philiponet a encore évolué en termes d’ambitus, de largeur et de puissance, sans rien perdre de sa rondeur ni de sa souplesse, sans parler d’un timbre très flatteur. Surtout, la cantatrice possède cette spontanéité et cet élan naturel propres à son personnage, qui ici bouleversent, notamment lors d'une « Chanson du saule » de haute volée. Le léger mais très joli Cassio de Sébastien Droy, la remarquable Emilia de Marie Gautrot aux graves aussi sonores que les aigus sont éclatants, tout comme le solide Lodovico d’Antoine Foulon ou encore le prometteur Roderigo du jeune ténor français Kaëlig Boché, complètent avec beaucoup de satisfaction la distribution. 

On apprécie enfin la cohésion d’un Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire dont le mérite est d’autant plus grand qu’il doit chanter masqué toute la soirée durant, et l’on goûte encore plus à la direction de Giuseppe Grazioli (chef permanent de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire), à la fois ferme, tendue et contrastée, alors que les contraintes sanitaires ne lui permettent de disposer que de quarante-deux instrumentistes. La façon qu’il a de faire avancer la musique de Giuseppe Verdi, tout en préservant la transparence des textures, n’est pas le moindre des bonheurs de la soirée.

Emmanuel Andrieu

Otello de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Saint-Etienne, jusqu’au 15 juin 2021

Crédit photographique © Louis Perrin

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