Pour commémorer le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner – en même temps que la Fête nationale de la Principauté –, l'Opéra de Monte-Carlo vient de proposer une magnifique production de L'Or du Rhin, dont la régie a été confiée à nul autre que le protéiforme maître des lieux, Jean-Louis Grinda.
L'homme de théâtre monégasque vise ici à l'essentiel, quitte à basculer occasionnellement dans le minimalisme - ou au contraire dans le « sur-décoratif ». Dans son travail sur l’œuvre-monde de l'échanson de Bayreuth, Grinda recherche avant tout la simplicité et l’intelligibilité, loin de toute lecture historico-psychanalytico-philosophique, et il évite soigneusement de surcharger le livret (signé par le compositeur) d‘ « innovations » hasardeuses, ce qui ne fait pas de mal, surtout après l'exemple (raté) de la Tétralogie parisienne confiée à Gunther Krämer... Avec son scénographe Rudy Sabounghi, complice de longue date, ils prônent ainsi, pour ce début de Ring, un certain dépouillement, une narrativité linéaire et une lisibilité de tous les instants. S’ils recourent parfois à une impressionnante machinerie pour créer des effets visuels aussi simples que monumentaux – somptueux décors aquatiques en trois dimensions pour figurer le fond du Rhin dans la première scène, ou ingénieuses poutrelles métalliques servant d'abord d'échafaudages à la construction du château (scène II) et qui, après une rotation à 90°, se transforment en murs de soutènement à la mine du Nibelheim (scène III) –, ils privilégient bien plus souvent la nudité du plateau. De façon évidente dans certaines scènes, on sent qu’ils ont assimilé l’héritage de la mythique production de Patrice Chéreau à Bayreuth, sans pour autant tomber dans la citation. Jean-Louis Grinda a d’abord imaginé un spectacle donné comme une formidable épopée, telle qu’elle est écrite, avec ses naïvetés et ses magies, en exploitant tous les artifices du plateau et tous ses niveaux, comme dans la scène finale qui laisse voir les dieux monter vers les cintres au moyen d'une superbe structure métallique en arc de cercle (s'inspirant de la Tour Eiffel), sur laquelle vient bientôt s'imprimer un magnifique arc-en-ciel...
A une exception près, la distribution réunie à Monte-Carlo s’avère exemplaire, tant vocalement que scéniquement. La palme revient à l’impressionnant Wotan du baryton letton Egils Silins, imposant d’aplomb scénique et d’autorité vocale. A l'applaudimètre, le baryton égyptien Peter Sidhom, dans le rôle d’Alberich, ne le lui cède en rien, avec une voix idéalement mordante, et un jeu d’une grande intensité dramatique. Le Loge d’Andreas Conrad mérite également une mention particulière pour la formidable projection de son timbre clair et ses talents de comédiens. De leurs côtés, Trevor Scheunemann compose un Donner magnifique d'aisance et William Joyner un Froh très stylé. Rodolphe Briand est un Mime fort bien chantant, tandis que Steven Humes (Fafner), avec son registre grave nourri et son phrasé scrupuleusement contrôlé, convainc bien mieux que Frode Olsen (Fasolt), qui se montre fâché avec la justesse, et présente un registre aigu laborieux (c'est la seule ombre au tableau vocal). Du côté féminin, la mezzo autrichienne Natascha Petrinsky campe une séduisante Fricka, à la fois scéniquement et vocalement, son timbre sensuel mettant en relief des aspects méconnus d’un personnage trop souvent transformé en une créature revêche et vindicative. La soprano allemande Nicola Beller Carbone – intense Salomé in loco il y a trois saisons – incarne une vibrante Freia, au timbre chaleureux et à l’aigu épanoui. Quant à l'alto polonaise Elzbieta Ardam, elle distille ses graves capiteux d’authentique alto dans la partie d‘Erda, et se montre magnifique de pugnacité dans son avertissement à Wotan. Enfin, les Filles du Rhin (Eleonore Marguerre, Linda Sommerhage et Stine Maria Fischer) s'imposent tout simplement comme une référence, avec des timbres parfaitement différenciés tout en atteignant un parfait équilibre vocal.
Directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, le chef italien Gianluigi Gelmetti opte pour une approche essentiellement fluide du discours musical : les cuivres paraissent ainsi un peu réservés (dans le crescendo final par exemple), tandis que les effets spectaculaires prévus dans la partition sont bien souvent escamotés. Mais ce que l’auditeur perd en grandeur sonore, il le gagne en limpidité, en lisibilité, d’autant que les voix des chanteurs, en même temps que le texte, passent la rampe sans peine aucune dans le vaste vaisseau du Grimaldi Forum. Un Wagner aussi lyrique a peut-être de quoi désarçonner au début, mais l’exceptionnel degré de fusion du drame et de la musique démontre rapidement le bien-fondé d’un semblable parti pris. Une enthousiasmante soirée lyrique à l'Opéra de Monte-Carlo !
L'Or du Rhin de Richard Wagner à l'Opéra de Monte-Carlo, le 19 novembre 2013
Crédit photographique © Alain Hanel / Opéra de Monte-Carlo
17 octobre 2017 | Imprimer
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