Le fameux festival MANCA consacré à la musique contemporaine bat son plein à Nice. Parallèlement, l’Opéra Nice Côte d'azur désormais confié à Bertrand Rossi (que nous avions rencontré à l’occasion de sa prise de fonction) joue le jeu en venant de proposer Akhnaten de Philip Glass que nous avions chroniqué lors de sa diffusion en streaming en novembre 2020, puis en programmant pour deux soirées et en version concertante, le chef d’œuvre lyrique de Béla Bartok, Le Château de Barbe-Bleue. C’est au chef Marko Letonja que le fringant directeur a proposé de diriger la partition – pour mémoire, l’actuel directeur musical de l’Opéra national du Rhin (depuis 2012) a longtemps côtoyé Bertrand Rossi dans la maison alsacienne, avant que ce dernier ne la quitte pour les bords de la Méditerranée.
Le chef slovène empoigne la partition du Château de Barbe-Bleue avec un sens poussé de l’analyse. L’orchestre, tout à la fois tranchant et souple, traduit magistralement la complexité de l’écriture bartokienne, porte la tension à son paroxysme (la force tellurique de la cinquième scène !), nous envahit de son mystère et magnifie cette tragique descente dans la nuit, vécue comme un cauchemar. La mezzo française Eve-Maud Hubeaux, avec une justesse d’intonation impressionnante, impose un personnage dont le timbre garde sa beauté et sa clarté d’émission, jusque dans la déchirure. Le contre-Ut de la cinquième porte est délivré avec une puissance et une longueur de souffle qui a stupéfait et tétanisé le public niçois (malheuresuement clairsemé). L’actrice n’est pas en reste, et toute les facettes du personnage – sa détermination, sa curiosité dévorante, son amour sans limite pour Barbe-Bleue – sont admirablement interprétées, alors même qu’on assiste à une version de concert. De son côté, le baryton-basse hongrois Miklos Sebestyen s’avère non moins grandiose en Barbe-Bleue : son registre haut possède tout l’impact requis tandis que les graves sont impressionnants, et son timbre noir et profond s’avère de toute beauté. Le chanteur nous gratifie surtout d’un chant toujours racé et élégant, rendant d’autant plus insoutenable la lente montée de l’angoisse de ce personnage douloureux, terrifié par un destin annoncé. La force formidable de sa présence porte à un degré souverain une émotion qui étreint longtemps après le spectacle, tout comme les derniers accords délivrés dans un murmure par un Orchestre Philharmonique de Nice en état de grâce.
En guise d’introduction, une œuvre d’une quinzaine de minutes commandée au compositeur argentin Daniel D’Adamo avait ouvert le bal : intitulée FABULA*, elle se savoure comme un bel hommage à la partition plus conséquente de Bartok, et – avec ses glissandi angoissants et ses staccati obsédants – offrait aux spectateurs une bonne préparation auditivo-mentale !
Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartok à l’Opéra Nice Côte d'azur, les 19 et 20 novembre 2021
Crédit photographique © Emmanuel Andrieu
22 novembre 2021 | Imprimer
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