Après l’Opéra de Dijon, la saison passée, c’est le Théâtre du Capitole de Toulouse qui propose une nouvelle production (en partenariat avec les opéras de Santiago du Chili et d’Oviedo) du (malgré tout) rare Turc en Italie de Gioacchino Rossini. C’est en 1814 que le Cygne de Pesaro compose l’ouvrage pour La Scala de Milan, soit un an après L’Italienne à Alger et, démarqué dans une certaine mesure de ce réel succès qu’avait été L’Italienne, le Turc fut assez mal reçu par les milanais. Le public accusait ainsi Rossini de se copier lui-même, sans mesurer la modernité d’un argument « pirandellien » avant la lettre, avec cette idée du théâtre dans le théâtre et le problème de l’artiste confronté à la création (le rôle du poète en quête de personnages pour le livret d’opéra qu’il doit composer).
En la personne d’Emilio Sagi pour la mise en scène (on se remémore avec plaisir de sa Dona Francisquita (Vives) ici-même pour les fêtes de fin d’année 2015), Daniel Bianco pour les décors et Pepa Ojanguren pour les costumes, le théâtre du Capitole a trouvé le trio qu’il fallait pour offrir au public toulousain un spectacle aussi juste qu’infaillible en termes de vérité et de ton. L’unique et imposant décor plus vrai que nature d’une place de Naples avec sa pizzeria et ses immeubles anciens aux balcons ouvragés fait mouche sur la rétine, surtout que l’homme de théâtre espagnol sait l’animer à chaque instant. La musique y trouve son vrai rythme et la galerie de personnages devient tout à fait crédible, avec comme trait d’union le rôle du poète, vivant son histoire à partir de la rencontre d’une bande de gitans et l’intervention de la volage Fiorilla, et de son barbon de mari, Don Geronio. Débarque le Sultan Sélim qui a aimé autrefois l’une des gitanes, Zaïda, et qui s’éprend, bien sûr, de Fiorilla, à la grande colère de Geronio. Mais, après une cascade de quiproquos et de machinations, tout rentre dans l’ordre avec l’enlèvement de Zaïda par Sélim qui croyait avoir affaire à Fiorilla, et le retour de celle-ci au foyer de Geronio.
En fosse, sous la battue pleine de panache du chef italien Attilio Cremonesi (déjà en fosse in loco pour de radieuses Noces de Figaro en avril dernier), l’Orchestre national du Théâtre du Capitole crépite d’allégresse, irrésistible et « spumante » comme un grand verre d’Asti. Côté vocal, une troupe (internationale) qui a la passion de l’opéra bouffe dans le sang et dans les tripes, et qui vit la farce dans un délire joyeux vous faisant chaud au cœur. Le baryton italien Pietro Spagnoli - qui interprète ici le rôle de Sélim après avoir chanté celui de Prosdocimo au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2015… et avant de se frotter à celui de Geronio en mars prochain à l’Opéra de Bergen – se montre parfaitement à l’aise dans cette difficile écriture rossinienne destinée à une basse-colorature : il y fait étalage de l’extraordinaire verve scénique et vocale que nous lui connaissons.
Avec son joli timbre, frais et rond, la soprano espagnole Sabina Puértolas – étourdissante Princesse Eudoxie (La Juive) à Lyon en mars dernier - se joue des pièges de sa partition, même si elle s’affirme avec moins d’éclat dans son grand air du deuxième acte que dans celui qu’elle délivre à la fin du premier. De son côté éblouissant Comte Almaviva (Il Barbiere di Siviglia) au Festival d’Avenches à l’été 2015, le ténor chinois Yijie Shi séduit par son éclat et sa puissance, et s’avère le triomphateur de la soirée… si l’on suit l’applaudimètre au moment des saluts ! Lauréat du Concours de chant du Capitole en 2012, son compatriote ZhengZhong Zhou offre une véritable leçon de style en Prosdocimo, avec sa voix profonde et souple, et son excellent jeu d’acteur. De son côté, le célèbre baryton italien Alessandro Corbelli – du haut de ses 64 printemps – campe un Don Geronio tout aussi pétulant et talentueux. Enfin, à l’instar de leurs petits camarades, l’allemande Franziska Gottwald (Zaïda) et le russe Anton Rositskiy s’efforcent de rendre justice à l’écriture rossinienne… avec plus ou moins de bonheur (émission pas toujours sûre pour l’une, prononciation de l’italien défaillant pour l’autre).
C’est guilleret et la mine réjouie que nous sortons du Théâtre du Capitole.
Le Turc en Italie de Gioacchino Rossini au Théâtre du Capitole, jusqu’au 29 novembre 2016
Crédit photographique © Patrice Nin
26 novembre 2016 | Imprimer
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