Une Adriana Lecouvreur triomphale à l'Opéra de Monte-Carlo

Xl_adriana © Alain Hanel / Opéra de Monte-Carlo

Absente depuis plus de trente ans de la scène monégasque, Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea y effectue un retour triomphal à l’occasion de la fête nationale de la Principauté, une soirée néanmoins dédiée au grand baryton russe Dmitri Hvorostovsky, disparu prématurément la veille.  

Décalant de deux siècles dans le temps l’action de l’opéra, du début de règne du roi Louis XV aux premières heures de la Grande Guerre, le célèbre metteur en scène italien Davide Livermore (également directeur général et artistique du Palau de les Arts de Valencia) a souhaité rendre hommage à une autre grande tragédienne française, Sarah Bernhardt. De fait, cette dernière – sous les traits de Barbara Frittoli – incarne ici Adrienne Lecouvreur elle-même, en rapport avec la pièce célèbre d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé, à l’origine du choix du sujet par Cilea et son librettiste, Arturo Calautti. Ce fut effectivement l’un de ses plus grands succès au théâtre. Elle devait même tourner un film muet (malheureusement disparu) en 1913 sur son illustre devancière sur un scénario rédigé par ses soins. Entre les affiches de Mucha, la magnificence des costumes, la coiffure inspirée des innombrables photos de la comédienne, la projection d’images reconstituées du film précédemment évoqué, l’allusion au 4ème acte de la fameuse jambe articulée (Sarah Bernhardt fut effectivement amputée de sa jambe droite en 1915) que la femme de chambre l’aide à mettre en place, tout évoque assurément la « Divine ». Davide Livermore doit bien entendu prendre quelques libertés avec le livret afin de coller à son approche, et l’introduction de soldats blessés dans les salons aristocratiques de la Princesse de Bouillon au III brouille un peu les pistes, tout comme la chorégraphie conçue par Eugénie Andrin qui s’inspire des innovations apportées par Nijinsky à la même période. Mais avouons que dans sa globalité le propos se tient...       

En fosse, Maurizio Benini – à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo des grands soirs – montre que, sous quelques conventions véristes, l’instrumentation de Cilea est beaucoup plus imaginative, lumineuse et raffinée qu’on ne l’écrit dans les manuels. Le chef italien imprime par ailleurs à la splendide phalange une tension permanente et une réelle urgence dramatique dont le dénouement paraît dès lors inéluctable.

Ecrit pour une Prima Donna, le rôle-titre exige une interprète d’exception, et l’Opéra de Monte-Carlo est donc allé naturellement chercher une des personnalités parmi les plus fascinantes du monde lyrique en la personne de Barbara Frittoli. Si le vibrato est toujours un peu envahissant en début de représentation, la soprano italienne fait montre ensuite de tout son art, et livre un chant d’une impeccable tenue musicale, qui sait infléchir ses grands moyens pour donner à son « Io son l’umile ancella », et plus tard à son « Poveri fiori », de bouleversantes nuances. Bien qu’annoncé souffrant, Roberto Alagna fait preuve de la même classe, si ce n’est quelques sanglots véristes intempestifs dont il est coutumier. On se délecte ainsi de son legato de miel, ainsi que de l’ardeur et de la séduction d’un chant aussi généreux que passionné, et peu importe donc si, ce soir, le timbre manifeste inévitablement de subits changements de teinte qui trahissent l’effort. Quant à son jeu, sobre et percutant, il rend plausible les hésitations sentimentales d’un héros sur ce plan plus terne que de coutume, dans le répertoire italien. L’excellent baryton italien Alberto Mastromarino campe un Michonnet inhabituel, possédant la grandeur tragique de l’amant méconnu dont on piétine sans pitié l’amour éperdu. La non moins grande Marianne Cornetti – qui nous avait électrisés dans son incarnation de Fidès (Le Prophète) à l’Opéra d’Essen en avril dernier – soulève à nouveau notre enthousiasme dans celle de la terrifiante Princesse de Bouillon, à qui elle confère une présence inquiétante : plus féline et méchante que lorsque le rôle est confié à des chanteuses ayant dépassé leur zénith vocal, cette rivale s’impose comme un rôle de premier plan, en rééquilibrant les axes dramatiques du livret. Alessandro Spina, un Prince de Bouillon parfait de cautèle et de suavité perverse, et l’Abbé de Chazeuil non moins subtil de Luca Casalin, forment un duo d’une aisance supérieure. Enfin, le Poisson d’Enrico Casari ou le Quinault du vétéran Antoine Garcin, tout comme le portrait des deux demoiselles Dangeville et Jouvenot par Loriana Castellano et Diletta Scandiuzzi attestent une fois de plus du soin mis par Jean-Louis Grinda (aidé par Eline de Kat) à donner toutes leurs chances à des ouvrages dont la qualité artistique n’aurait pu être plus opulente.

Emmanuel Andrieu

Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea à l’Opéra de Monte-Carlo, jusqu’au 26 novembre 2017

Crédit photographique © Alain Hanel

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