C’est à l’Opera North que nous conduisent cette fois nos pérégrinations opératiques européennes, cette structure lyrique fondée en 1977 et basée à Leeds, la plus importante d’Angleterre après les deux opéras londoniens, et qui se produit dans trois autres villes du nord du pays : au Royal Theater de Newcastle, au Royal Theater de Nottingham et au Lowry Center de Salford Quays, la principale ville de banlieue du Great Manchester (où vivent 200.000 habitants sur les deux millions que comporte la mégalopole….). Comme dernier titre de sa saison 18/19, c’est Aïda qui a été retenu, mais représenté sous un format semi-scénique... car non pas dans son bâtiment historique du Grand Theater sur New Briggate, mais dans l’imposante et munificente grande salle du Town Hall de la cité (transformée en gigantesque salle de spectacle, dont les proportions - et les nombreuses colonnes de marbre ! - rendent aisément justice à la portée du drame de Giuseppe Verdi), sis au bord du fameux Headrow, l’artère principale de la troisième ville d’Angleterre (par sa population).
Ici donc, pas de dégagement pour permettre des changements de décor, et seuls les costumes des personnages et un grand drap blanc descendant négligemment des cintres pour accueillir des images vidéos permettront de contextualiser l’action. Annabel Arden, la metteure en scène, transpose l’histoire dans notre douloureuse contemporanéité, au Moyen Orient, et on croit reconnaitre la ville d’Alep (totalement éventrée) dans les images projetées pendant l’Ouverture et la Marche triomphale (signées Joanna Parker). Ramfis et le Roi, tout en rigidité, apparaissent en costume trois pièces, Radamès en uniforme militaire kaki (et semble souffrir de troubles post-traumatiques après son retour de la bataille...), tandis qu’Amnéris, consciente de son pouvoir et de sa beauté, ne pense qu’à troquer une robe de satin pour en enfiler une en soie… A l’instar de la tragédie antique, les membres du chœur (rangés derrière l'orchestre) sont les omniprésents témoins de la tragédie qui se déroule sous leurs yeux, spectateurs autant que chanteurs, et ils arborent donc leurs habits de tous les jours, ceux qu’ils ont mis le matin en se levant… Bien que très simples, toutes les scènes gardent leur puissance dramatique, d’autant que tous les artistes réunis ici se révèlent également excellents comédiens, chacun apportant à son personnage respectif - ainsi qu'aux nombreuses scènes de confrontation - une incroyable force de conviction.
Alexandra Zabala (Aida), Eric Greene (Amonasro) et
Lorna James (la Prêtresse/Mère d’Aida); © Clive Barda
Alessandra Volpe (Amneris) et Alexandra Zabala (Aida) ; © Clive Barda
Dotée de vrais moyens de lirico-spinto (et d’un timbre de toute beauté !), la superbe soprano italo-colombienne Alexandra Zabala rend parfaitement justice à tous les aspects du rôle-titre, avec une jolie profondeur dans le médium et un aigu vraiment céleste, son incarnation culminant dans un air du Nil de très grande classe. Déjà plébiscitée dans ces colonnes pour son rôle de Giuletta (bellinienne) au Teatro Sao Carlos de Lisbonne il y a juste un an, la formidable mezzo italienne Alessandra Volpe est proche de l’idéal en Amnéris : voix belle et grande, n’ayant pour autant aucune difficulté à attaquer piano dans l’aigu l'air « Ah vieni, amor mio », elle déploie une scène du jugement de haute volée, avec des inflexions et des couleurs saisissantes. Pilier d’Opera North, le ténor mexicain Rafael Rojas ne manque ni de puissance ni de brillant dans le rôle de Radamès, auquel il confère tous les éclats guerriers requis, sans oublier cependant d’alléger son émission quand il le faut, notamment dans le duo final où son chant piano fait merveille (« O Terra, addio »). Avec ses deux mètres et ses 120 kilos tout en muscles, le baryton afro-britannique Eric Greene offre à Amonasro de superbes qualités vocales et bien sûr une solide présence dramatique. Le Ramfis de la basse finnoise Petri Lindroos est d’une stature toute aussi imposante, avec un grave à toute épreuve et une belle noblesse dans l’accent. Enfin, Michael Druiett est un Roi sonore, Warren Gillespie un Messager à la voix fièrement projetée, et Lorna James une Prêtresse au timbre cristallin. Citons encore le Chœur d’Opera North, remarquablement préparé par Oliver Rundell, qui affirme une cohésion et une précision exceptionnelles toute la soirée durant.
Quant à la lecture du grand chef lyrique Sir Richard Armstrong (directeur de l’Opéra national du Pays de Galles de 1973 à 1986 et du non moins prestigieux Opéra national d’Ecosse de 1993 à 2005), elle se montre de bout en bout passionnante et se distingue par une variété infinie dans les dynamiques et les nuances, une tension dramatique jamais prise en défaut, et de luxuriants coloris instrumentaux. Grâce au merveilleux Orchestre d'Opera North, le tableau du triomphe sonne vibrant et vigoureux, l’acte du Nil ruisselle d’effluves enivrants d’une extraordinaire intensité, et la scène finale semble tout simplement comme suspendue dans le temps et dans l’espace…
An oustanding show and an amazing evening… et nous avons déjà planifié de revenir à Leeds dès septembre pour la rare (et exaltante) Passion Grecque de Bohuslav Martinu !
Aïda de Giuseppe Verdi au Town Hall de Leeds, le 10 mai 2019
Crédit photographique © Clive Barda
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