Une Bohème de musée à l'Opéra national de Hongrie

Xl_boheme © Opéra national de Hongrie

C’est une véritable pièce de musée que cette production de La Bohème de Giacomo Puccini - reprise pour les fêtes de fin d’année à l’Opéra national de Hongrie - puisqu’elle y a été étrennée… en 1937 ! (et jouée plus de 800 fois depuis !). Elle ne s’éloigne bien évidement pas d’une certaine tradition, tout en se situant dans une perspective « cinématographique », car son concepteur, le hongrois Kalman Nadasdy, était avant tout un réalisateur de cinéma célèbre en Hongrie entre deux guerres. Exploitant les vastes dimensions de l’Opéra national de Hongrie, Nadasdy nous entraîne sur les toits de Paris, à l’époque de la création de l’ouvrage, la mansarde des bohèmes occupant pour sa part la moitié de la scène. Nous pouvons ainsi voir Mimi gravir l’escalier de sa chambrette pendant les premiers échanges entre Marcello et Rodolfo, puis souffler sa bougie avant de frapper à la porte. Etre une « pièce de musée » ne veut pas dire que la production manque d’imagination ou de vie, bien au contraire. Si les deux derniers actes sont maintenus dans un relatif dénuement, en parfait accord avec la situation - que vient seulement animer, à la Barrière d’Enfer, le chœur des campagnardes -, le premier ajoute une touche de réalisme poétique à une mansarde réduite à un mobilier sommaire, tandis que la scène du Café Momus, avec ses magnifiques toiles peintes d’un temps aujourd’hui disparu, pétille de malice et d’intelligence.

Pour Andrea Rost (véritale icône dans sa patrie magyare) et Charles Castronovo initialement annoncés, nous avons finalement entendu le second cast en cette soirée de Noël : l’Opéra national de Hongrie a réuni là une distribution jeune, des âges des rôles, ou quasiment. Elle tient grâce à son homogénéité et à la direction du chef hongrois Balazs Kocsar (que nous avions entendu dans le même ouvrage à l’Opéra Grand Avignon l’an passé) qui maintient un excellent équilibre plateau-fosse et sait mettre en relief, à chaque instant, ce qui le mérite ou fondre le tout avec un vrai discernement. Il sait également laisser courir et se développer le lyrisme de la phrase quand celle-ci demande à être libre, mais c’est une liberté surveillée du bout de la baguette, et aucune folie n’est à déplorer en ce domaine. Il y a de la vie, de la couleur, les bons accents et beaucoup de générosité dans sa direction.

Cette générosité, on la retrouve chez les interprètes, tous très plausibles physiquement. La mimi de la soprano d’origine arménienne Karine Babajanyan – bouleversante Butterfly au Grand-Théâtre de Genève il y a quelques saisons – offre le meilleur de ses qualités de timbre et de legato, au fil d’une interprétation sensible et chaleureuse. Si son air du premier acte offre plus de plénitude que de coloration, l’ensemble de sa prestation en Mimi suscite l’enthousiasme. Face à elle, le ténor hongrois Attila Fekete campe un Rodolfo romantique à souhait, à la voix lyrique d’une remarquable projection et d’un volume considérable… qu’il aurait même parfois intérêt à réfréner. Par bonheur, c’est en revanche piano et d’une voix étranglée par la douleur qu’il délivre les deux « Mimi ! » conclusifs qui serrent la gorge. De son côté, la soprano hongroise Zita Varadi incarne une Musetta brillante et malicieuse. Quant aux trois compères de Rodolfo, on retient en premier lieu le Marcello de Levente Molnar à la voix – et la stature physique - colossales. Si Csaba Sandor campe un excellent Schaunard, le Colline de Gabor Bretz est un peu en retrait, à l’aise dans les ensembles mais assez décevant dans son air du dernier acte où la voix manque de projection dramatique.

Le spectacle remporte un triomphe auprès du public (très international, en cette période de fêtes, au point où la langue vernaculaire était ultra-minoritaire pendant les conversations d’entracte !), et il ne faut pas s’en étonner, car même s’il ne s’agit pas d’une « grande soirée », il propose une approche sincère, exacte et très vivante de l’œuvre de Puccini.

Emmanuel Andrieu

La Bohème de Giacomo Puccini à l’Opéra national de Hongrie, jusqu’au 7 janvier 2017

Crédit photographique © Opéra national de Hongrie

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