Au lendemain de la fête nationale monégasque, lors de laquelle Cecilia Bartoli a régalé la famille princière et 500 Happy Few avec tout son génie et la générosité qu’on lui connaît, les festivités se poursuivaient à l’Opéra de Monte-Carlo, dans la Salle des Princes du Grimaldi Forum, avec une série de trois représentations de Carmen.
Dans le rôle-titre de l’œuvre lyrique la plus jouée au monde, on retrouve la très talentueuse mezzo française Aude Extrémo, que nous avions déjà saluée dans le personnage à l’Auditorium de Lille l’an passé et qui répondait à nos questions dans une interview pendant le premier confinement. Comme à Lille, elle campe une femme distinguée, fière et libre. Et l’intelligence de l’interprète autant que l’intégrité de la cantatrice font que l’on est conquis derechef. Au-delà de la beauté intrinsèque du timbre, de ses graves aussi opulents que ses aigus conquérants, de son phrasé et de son élocution impeccable, elle impressionne en incarnant le personnage de Mérimée avec un tel naturel, une telle résolution et une telle sensibilité à fleur de peau, qu’on ne peut que l’aimer, s’imposant ainsi comme l’une des meilleures Carmen du moment.
En face d’elle, Jean-François Borras ne brille pas moins, et nous n’avions vu et entendu de Don José plus crédible depuis Roberto Alagna. Le ténor monégasque – qui nous avait éblouis l’an passé tour à tour avec ses incarnations de Werther au Théâtre du Capitole puis de Hoffmann à l’Opéra de Lausanne – s’impose avec cette incarnation majeure et magistrale comme l'un des meilleurs chanteurs francophones de sa génération : quelle facilité dans l’aigu, quel contrôle dans l’émission, quel naturel et quelle fluidité dans la diction, des qualités qui lui permettent de distiller un air « de la fleur » inouï de beauté et de sensibilité. Mais il y a aussi l’acteur, et de mémoire, hors l’incarnation de Jonas Kaufmann à Londres face à Antonacci, nous n’avions vu un Don José aussi bouleversant dans son amour que saisissant dans ses accès de rage, dont l'éclat paroxystique dans la scène finale, d’une violence quasi insoutenable, nous a littéralement glacé les sangs !
Difficile d’exister face à ces deux bêtes de scène, et pourtant les comprimari ne déméritent nullement, à commencer par la lumineuse Micaëla de la soprano toulousaine Anaïs Constans (que nous avions également interviewée lors du premier confinement, et par ailleurs déjà présente dans la version capitoline) qui offre un chant toujours aussi scrupuleusement conduit et aux piani aériens. De son côté, la basse roumaine Adrian Sâmpetrean (rencontré la veille du spectacle) ne manque pas de panache dans le rôle d’Escamillo, dont il ne fait qu’une bouchée, avec une ligne dans le haut médium et des aigus souverains qui ne manquent pas de faire leur petit effet sur l'auditoire. Mais citons également les Frasquita et Mercédès, futiles et enjôleuses, de Charlotte Despaux et Fleur Barron, les Dancaïre et Remendado parfaitement complémentaires de Pierre Doyen et Marc Larcher, l’impeccable Zuniga de Matthieu Lécroart, avec une mention, enfin, pour le Moralès du baryton franco-marocain Anas Séguin, sans oublier l’hypnotisante jeune danseuse de Flamenco Irene Olvera !
À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, le chef français Frédéric Chaslin fait des merveilles. Tissu harmonique raffiné, direction ardente et aérienne, comment ne pas sentir que la phalange monégasque vit l’une de ses grandes soirées ? Le merveilleux « Entracte » du III, si bien respiré dans la ductilité de la flûte, ne se laissera pas oublier de sitôt. Enfin, les Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo n’appellent aucun reproche, toujours aussi formidablement préparés par Stefano Visconti.
Quant à la proposition scénique, c'est celle que le maître des lieux Jean-Louis Grinda avait signée il y a deux ans pour le Théâtre du Capitole (en coproduction avec son propre théâtre monégasque), dont nous avons pu dire à l'époque tout le bien que nous en pensions. Il est à noter cependant qu’il a retenu ici la version originale avec récitatifs contre la version de Vienne avec les dialogues parlés de Guiraud retenue à Toulouse, sans que nous ne sachions pourquoi (parce que le texte parlé se serait perdu dans l’immense vaisseau de 2000 places qu'est la Salle des Princes, obligeant les interprètes à avoir recours à une sonorisation ?...). Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’insoutenable (et véritable) violence du chef d’œuvre de Georges Bizet a rarement été si bien cernée et rendue par une mise en scène, et que l’on est une nouvelle fois sorti tourneboulé de la salle à l’issue du spectacle, sous le choc de l’ultra-violence de la scène finale…
Carmen de George Bizet à l’Opéra de Monte-Carlo, jusqu’au 24 novembre 2020
Crédit photographique © Alain Hanel
24 novembre 2020 | Imprimer
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