Après avoir proposé dans un simple format concertant et abrégé l’avant-dernier titre de sa saison (une enthousiasmante Force du destin de Verdi), le Théâtre du Capitole est certes encore soumis à une jauge réduite, mais peut enfin proposer une production scénique avec cette Elektra de Richard Strauss. Et Christophe Ghristi a en confié la mise en scène à Michel Fau dont on se souvient du travail in loco sur Ariadne auf Naxos du même compositeur, il y a deux ans.
L’homme de théâtre français avait-il vu la production que David Pountney avait signée pour l’Opéra Bastille dans les années 90 ? Il en reprend en tout cas la même idée d’une statue d’Agamemnon jonchée sur le sol ensanglanté du plateau, mais dont l’envergure est ici telle que la direction d’acteurs s’en trouvera empêchée ou contrainte, le gouffre béant servant de terrier à l’héroïne grevant l'autre tiers de la scène du Théâtre du Capitole...
La production doit beaucoup aux incroyables costumes conçus par le styliste star Christian Lacroix, tous très différents les uns des autres : de la robe écarlate de Clytemnestre (qui porte une perruque de la même couleur : photo), à la robe de mariée en dentelle blanche d’Elektra (et couronne nuptiale assortie), ou la robe de chambre orientalisante et vert émeraude d’Oreste… On regrettera davantage les meurtres de Clytemnestre et d’Egisthe, habituellement non montrés et perpétrés hors scène, mais ici commis sous nos yeux, dans un élan grand-guignolesque qui sied assez mal à l’atmosphère tragique du reste du spectacle.
Enfin, une toile de tulle représentant des corps enchevêtrés (façon Egon Schiele et signée par Phil Meyer) sépare l’orchestre - placé sur toute la largeur et profondeur de la scène - des chanteurs, qui évoluent sur une fosse couverte. L’une des plus belles trouvailles de la soirée est ce moment où, pendant les derniers accords, la toile s’abaissera, découvrant dans toute sa magnificence la phalange toulousaine qui devient alors le principal protagoniste du drame.
Avec une telle disposition orchestrale, la musique bouillonnante de Strauss déferle avec d’autant plus de force que les spectateurs la reçoivent de plein fouet, sans que les chanteurs aient, quant à eux, à surmonter le mur sonore que constitue généralement l’orchestre. Dès lors, le chef allemand Frank Beermann joue gros avec sa formation complètement à découvert, mais il l’a parfaitement préparée à cette épreuve de vérité dont les musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse sortent aussi glorieux que vainqueurs.
Dans le rôle-titre, la soprano allemande Ricarda Merbeth obtient un succès triomphal, en incarnant une Elektra opiniâtre, d’une incroyable force intérieure et d’une endurance à couper le souffle, dardant des aigus fulgurants dans les moments de passion comme de vengeance, mais sachant trouver des accents d’une belle sensualité au moment des retrouvailles avec son frère. Dans son parcours vocal sans faute, on retiendra ainsi la beauté et l’éclat de ses poignants « Orest ! », mais aussi sa capacité à nuancer d’une façon rare le dialogue avec sa mère. Elle mérite d’être placée aux cotés des plus illustres titulaires du rôle.
À ses côtés, la soprano finnoise Johanna Rusanen impose une Chrysotemis de poids, avec une puissance vocale phénoménale, mais qui nous vaut quelques aigus aux limites du cri dans les notes les plus exposées. En Clytemnestre, la chanteuse lituanienne Violeta Urmana puise dans ses incroyables ressources pour chanter chaque note de son personnage, et force l’admiration par son refus de la facilité du cri ou du parlando, brossant un portrait fascinant de cette héroïne hors du commun. Oreste de (grand) luxe, le baryton-basse allemand Matthias Goerne prête au héros sa noble stature et ses graves somptueux, tandis que le ténor cinglant de Frank van Aken confère à Egisthe une présence inhabituelle. Les seconds rôles sont tous excellents, avec une mention pour la Première servante très investie de Svetlana Lifar et la Cinquième servante d’une magnifique pugnacité de Marie-Laure Garnier (que nous avons interviewée récemment).
Si, en cette soirée de victoire du Stade toulousain, le feu était sur le point de régner à l’extérieur, Place du Capitole, il avait déjà pris dans le théâtre mitoyen !
Elektra de Richard Strauss au Théâtre du Capitole, jusqu’au 2 juillet 2021
Crédit photographique © Mirco Magliocca
30 juin 2021 | Imprimer
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