Après un Vaisseau fantôme plutôt hermétique, présenté in loco en novembre dernier, l’Opéra de Flandre propose, cette fois, une Flûte enchantée carrément « trash », où le regietheater le plus pur et dur est poussé jusqu’à la caricature par le metteur en scène allemand David Hermann. Que le lecteur en juge… Le rideau s’ouvre sur une scénographie post-apocalyptique : on y voit Tamino se faisant électrocuter par un transformateur (se substituant au serpent) tandis que les Trois Dames arrivent à sa rescousse (toutes mouillées) en se contorsionnant comme des reptiles (attitude reprise par la Reine de la Nuit à son entrée en scène). Déboule Papageno qui se comporte, lui, comme un chimpanzé et qui s’épouille sans cesse. Sa Papagena est encore moins bien lotie puisque handicapée et se mouvant en fauteuil roulant... Les fameux Trois Enfants chantent depuis les bas-côtés et sont remplacés sur scène par des marionnettes représentant des ragondins. Sarastro est un gentleman farmer de l’Ouest américain qui force Pamina à lui caresser le sexe pendant qu’il prend son bain (photo). Mais le pire est à venir… et c’est un véritable carnage : Sarastro trucide la Reine de la Nuit, les Trois dames et Monostatos, d’un coup d’un seul, au moyen d’une déflagration électrique, tandis que Tamino lui règle son compte peu après, au moyen d’un (plus basique) revolver. Nous arrêterons là la liste de ce salmigondis sans queue ni tête dont seul le génial auteur possède les clés (qu’il peut bien garder pour lui...).
Il fallait, pour réaliser cette conception, une équipe de chanteurs qui soient de vrais acteurs. Le travail de direction d’acteurs, crédit que l’on ne peut refuser à Hermann, est impressionnant, dommage juste qu’il soit utilisé pour leur faire faire n’importe quoi. On apprécie la Pamina de la soprano belge Lore Binon, fraîche, spontanée, de même que le Tamino au sang vif et généreux de l’américain Kenneth Tarver, un peu en difficulté dans les longues lignes de l’air du portrait, mais qui a le tempérament, le timbre exact, la couleur et la ferveur d’un vrai Tamino. En dépit d’un médium peu audible, la soprano ouzbek Hulkar Sabirova est une excellente Reine de la Nuit dès qu’elle aborde l’aigu et le suraigu, avec des contre-Fa insolents et une incontestable facilité à vocaliser. Le Papageno de Josef Wagner séduit d’abord par sa présence scénique et son agilité à se mouvoir (et dieu sait que la mise en scène exige beaucoup de lui !), mais aussi par sa voix superbement timbrée. Michael J. Scott fait une étonnante composition en Monostatos, tout comme les Trois Dames (Hanne Roos, Tineke van Ingelgem et Raehann Bryce-Davis) qui font de la première scène et du quintette du premier acte des moments de plénitude. Enfin, la délicieuse Papagena de Morgane Heyse, le Sarastro plein de noblesse et d’aisance de la basse croate Ante Jerkunica et le remarquable Orateur du russe Evgeny Solodovnikov ajoutent au bonheur de cette distribution.
Le travail de l’Orchestre philharmonique de l’Opéra de Flandre, sous la direction de Jan Schweiger, est lui aussi remarquable de précision et de subtilité ; à n’en pas douter, le chef et l’orchestre éprouvent le même plaisir à détailler la fabuleuse partition de Mozart, plaisir partagé du reste par les auditeurs… malgré la proposition scénique !
Die Zauberflöte de W. A. Mozart à l’Opéra de Flandre, jusqu’au 20 janvier 2017
Crédit photographique © Annemie Augustijns
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