Une Italienne dans la jungle au Grand-Théâtre de Tours

Xl_italiennealger.sandra_daveau-1024 © Sandra Daveau

La production de L’Italienne à Alger de Gioacchino Rossini imaginée par David Hermann - et étrénnée à l’Opéra National de Lorraine avec succès en février 2012 - réussit avec brio son transfert au Grand-Théâtre de Tours. Le metteur en scène franco-allemand rend à merveille la fulgurance de cet opéra composé en vingt-sept jours par un musicien tout juste âgé de 21 ans. De fait, le spectacle fait mouche de bout en bout, tapageur ou guilleret, virtuose et enlevé, multipliant les gags hilarants. On est d’abord impressionné par l’imposant dispositif scénique conçu par Rafail Ajdarpasic, qui présente la carcasse éventrée d’un avion venu s’écraser en pleine jungle sur quelque île du Pacifique, habitée par des indigènes qui arborent des masques tribaux. Certaines scènes provoquent sourires ou franche hilarité, tel Lindoro ayant trouvé refuge dans l’un des réacteurs évidés de l’aéronef ou la fameuse scène du pal, ici transformée en méchoui, et dans laquelle l’infortuné Taddeo se retrouve enduit de graisse... pour mieux rôtir ! Impayable également le quintette du II (« Ti presento di mia man ») où, suite au redémarrage accidentel du réacteur, tous les protagonistes sont emportés dans un véritable tourbillon (avec ceintures de sécurité, gilets de sauvetage et masques à oxygène volant en tous sens), faisant ainsi génialement écho à la musique !

Eblouissante Angelina (La Cenerentola) au Teatro Massimo de Palerme en 2016, la mezzo sicilienne Chiara Amaru remporte à nouveau tous les suffrages dans le rôle-titre auprès du public tourangeau. C’est bien simple, son naturel scénique n’a d’égal que l’agilité et la vigueur de sa projection. Le bonheur qu’elle prend à interpréter son personnage est communicatif, sa virtuosité se mettant constamment au service d’une riche palette expressive. Comme le veut le rôle, Mustafa est présenté sous un éclairage peu flatteur, que la basse turque Burak Bilgili nuance par la conduite sensitive et mobile de sa ligne de chant, avec une voix ample et bien timbrée. Découvert dans Barkouf d’Offenbach en décembre dernier à Strasbourg, le ténor franco-congolais Patrick Kabongo semble promis à un bel avenir dans le répertoire belcantiste. Avec son timbre clair mais éclatant, il incarne un Lindoro à la fois tendre et héroïque, aussi percutant vocalement que scéniquement. Le Taddeo de Pierre Doyen est remarquablement stylé et doté d’un rare abattage scénique, tandis qu’Aimery Lefèvre fait valoir en Haly une voix de baryton chaleureuse et cultivée, qui lui permet d’exécuter avec esprit son grand air sur les « Femmes d’Italie ». Enfin, Jeanne Crousaud (Elvira) et Anna Destraël (Zulma) complètent le plateau avec élégance et aplomb.

La seule réserve de la soirée proviendra de la direction du chef italien Gianluca Martinenghi, avec un Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours qui ne parvient pas à rendre justice à la partition de Rossini avec suffisamment de verve et d’éclat. La lecture orchestrale est plus sage qu’inspirée, avec notamment une Ouverture prise dans un tempo insupportablement lent. Ailleurs, trop de rallentandi destinés à faciliter la négociation de telle ou telle vocalise freinent le déroulement de l’action jusqu’à rendre obscures les savantes constructions instrumentales échafaudées par le compositeur.

Emmanuel Andrieu

L’Italienne à Alger de Gioacchino Rossini au Grand-Théâtre de Tours, jusqu’au 5 février 2019

Crédit photographique © Sandra Daveau

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