Norma n’avait plus été représentée au Théâtre du Capitole depuis quarante ans. On pouvait donc imaginer que le retour du chef d’œuvre de Vincenzo Bellini (et du belcanto !) serait lié à la présence d’une chanteuse capable de rendre justice aux redoutables exigences du rôle-titre. De fait, la soprano lettone Marina Rebeka - plébiscitée dernièrement dans Faust à Genève ou Anna Bolena à Bordeaux - ne manque pas d’atouts...sans pour autant convaincre. La voix est d’une rare ampleur, mais au fur et à mesure qu’elle gagne en puissance, elle semble perdre en nuances et en capacité d’émotion : le fameux Casta Diva accuse ainsi un phrasé sans relief, à la vocalise quelque peu laborieuse, et il faut faire une croix sur les messe di voce attendues ici. Le personnage est uniformément campé de manière rageuse, même dans la scène finale, où la chanteuse ne se départira pas de sa morgue hautaine, au détriment de toute émotion. Qu’est-il arrivé également à Airam Hernandez (superbe Alfredo in loco la saison passée) depuis la dernière fois que nous l’avons entendu ? Le ténor espagnol dispose toujours du même timbre flatteur, mais son Pollione tout en muscles, hurlé de bout en bout, avec des aigus dépoitraillés systématiquement au bord de la rupture, est tout simplement insupportable à écouter ! Du coup, c’est Karine Deshayes (Adalgisa) qui rafle ce soir la mise, car elle n’oublie jamais, elle, de faire de la musique, en offrant une véritable leçon de chant, a contrario de ses partenaires, soucieux uniquement de faire du son. Qu’elle ait su, dans un tel contexte, garder intacte la pureté de son chant, tient presque du miracle ! De fait, grâce à elle, Bellini retrouve la noblesse du phrasé, la longueur de la ligne, la pudeur de l’accent, la virtuosité vocale, et la justesse de l’approche : elle est certainement la plus belle Adalgisa du moment. De son côté, la basse hongroise Balint Szabo, Oroveso présent, ne parvient pas tout à fait à s’imposer dans ses deux scènes, tandis que les comprimari offrent plus de satisfaction, à commencer par la lumineuse Clotilde de la soprano roumaine Andreea Soare et le Flavio très présent de François Almuzara.
La mise en scène, confiée à la femme de théâtre française Anne Delbée (on se souvient d’une Phèdre à la Comédie-Française…), ne restera pas dans las annales de la maison occitane. Avec son décorateur Abel Orain, elle choisit de situer l’action dans un espace intemporel et neutre, baignant dans la lumière de la lune, entre de hauts rideaux à motifs sylvestres au I, et deux parois en acier incurvées au II. Dans cette scénographie froide et minimaliste, les personnages entrent peu en interaction, et il serait présomptueux de rechercher ici les lignes de force d’une direction d’acteurs particulièrement absente. En fait, seules les lumières, réglées à la perfection par le talentueux éclairagiste italien Vinicio Cheli, introduisent un rien d’atmosphère dans ce monde désolé qui se veut d’un modernisme provocateur. Pour enfoncer le clou, Delbée s’est permis d’introduire un texte exogène, aussi prétentieux qu’alambiqué, récité par un acteur sonorisé (Valentin Fruitier, qui se présente sous la forme d’un cerf blanc…), et pour comble de malheur, qui se surexpose sur la sublime musique de Bellini..
Dans la fosse, en revanche, le théâtre est bien présent, souvent trop, en particulier dans l’Ouverture et au début du premier acte, où le chef italien Giampaolo Bisanti fait jouer trop vite et trop fort un Orchestre national du Capitole de son côté irréprochable, à l’instar d’un Chœur du Capitole qui assure à chacune de ses interventions noblesse d’accent et précision dans les attaques.
Norma de Vincenzo Bellini au Théâtre du Capitole, jusqu’au 10 octobre 2019
Crédit photographique © Cosimo Mirco Magliocca
10 octobre 2019 | Imprimer
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