Une « Nuit américaine » à l'Operafest de Lisbonne

Xl_nuit_am_ricaine___l_operafest_de_lisbonne © Susana Paiva

Le Festival d’Opéra de Lisbonne ne se résume pas à un grand titre du répertoire – Tosca pour sa première mouture en 2020, Madama Butterfly l’an passé, et Un Ballo in maschera pour la présente édition -, mais présente aussi des œuvres rares et des créations. C’est le cas avec cette « Nuit américaine » (Noite americana) qui coche (presque) les deux cases puisque « Labyrinth » de Giancarlo Menotti et « A hand of bridge » de Samuel Barber semblent n'avoir jamais été repris depuis leur création, d’autant que le premier titre (d’une durée d’une heure) a été écrit et diffusé pour/sur la télévision en 1963. L’intrigue est très simple : un couple arrive dans un hôtel de luxe pour leur nuit de noce, mais le groom a perdu la clé de leur chambre. C’est le début pour eux d’une véritable petite Odyssée dont le but est de récupérer la maudite clé ; dans leur recherche, ils rencontrent de mystérieux personnages qui hantent l’hôtel (une Espionne, un Vieil homme, un Garçon d’étage, le Directeur de l’hôtel, une Femme d’affaires et même un Astronaute !), qui sont la parabole de l’aventure qu’est la vie humaine, Menotti parlant lui-même de son ouvrage comme d’une énigme plus que d’un opéra. Le compositeur italo-américain a néanmoins donné quelques clés, avouant que l’hôtel était une métaphore du monde, le Garçon d’étage représentant nos rêves, l’Espion toutes les formes de savoir (science, religion, philosophie), l'Astronaute le futur, ou le Directeur… la mort. Trouver la clé, c’est arriver au bout du chemin. Le livret est de la main de son compagnon de vie (pendant quarante ans !), le compositeur américain Samuel Barber dont le court ouvrage de dix minutes « A Hand of bridge » est donné à la suite du premier. Sur une musique très jazzy, deux couples révèlent chacun à leur tour les vrais sentiments qui les animent, leurs désirs refoulés, leurs rêves profonds, lors d’une anodine partie de bridge.

Comme la veille pour Un Ballo in maschera, l’exiguïté de la scène et l’absence de dégagement limite les possibilités scéniques, et c’est pareillement sur les costumes et les éclairages, et bien évidemment sur la direction d’acteurs que repose le travail du metteur en scène portugais Bruno Bravo. La scénographie se compose seulement de quelques portes suspendues en fond de scène, et d’une mannequin en robe de mariée attablée devant un jeu d’échecs. En arc de cercle autour du couple (Tiago Amado Gomes et Cecilia Rodrigues), sont assis les acteurs qui incarnent (physiquement) chacun des personnages, tandis que deux chanteurs (le ténor Alberto Sousa et la mezzo Anna Ferro), entièrement couverts de drapés noirs, sortent de l’ombre pour assurer la partie vocale des différents protagonistes. Les voix des quatre solistes (que l’on retrouve dans le second ouvrage) sont bien assorties, dans une partition convenant idéalement à de jeunes chanteurs, avec une musique qui reste fidèle aux maîtres à penser de Menotti – Strauss, Puccini ou encore Wolf-Ferrari –, mais sans les difficultés vocales des partitions de ces compositeurs. La qualité du jeu d’acteurs des solistes se découvre mieux dans l’œuvre de Barber, où ils restent assis face au public, cartes en mains, et où toute leur psyché doit se retranscrire sur leur visage et dans leur gestuelle.

À la tête d’un orchestre réduit à une dizaine de musiciens, le jeune chef portugais Tiago Oliveira impulse à l'Ensemble MPMP une direction ferme, nuancée et attentive au plateau. Et l’on goûte particulièrement l’improvisation très jazzy du tromboniste, pour faire la liaison entre les deux ouvrages, et permettre tout simplement aux artistes de changer de costumes.

Le Festival d’Opéra de Lisbonne est loin d’être fini, et l’opéra d’Isabelle Aboulker, Jeremias Fisher, continue les festivités les 1er, 2 et 3 septembre, tandis que la manifestation lisboète se terminera, le 10 septembre, avec un opéra en sept actes d’Antonio Chagas Rosa, O Homen dos SonhosL’Homme des rêves »), ouvrage créé au printemps dernier au Teatro São Luiz de Lisbonne.

Bon vent à ce festival varié et audacieux qu’est le Festopera de Lisboa !

Emmanuel Andrieu

Labyrinth de Giancarlo Menoti et A Hand of bridge de Samuel Barber dans les jardins du Museu Nacional de Arte Antigua de Lisbonne, le 27 août 2022

Crédit photographique © Susana Paiva

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