Il n’est pas fréquent d’entendre au cours de la même soirée Une Tragédie florentine et Paillasse (même si Jean-Louis Grinda avait déjà eu cette idée, dans son théâtre monégasque, en 2015), deux œuvres courtes que beaucoup d’éléments séparent, si ce n’est une issue fatale provoquée par le démon de la jalousie. C’est le diptyque que propose en ce moment l’Opéra d’Oviedo, sixième plus importante structure lyrique d’Espagne – après le Teatro Real de Madrid, le Liceu de Barcelone, Le Palau de les Arts de Valencia, la Maestranza de Séville et l’ABAO de Bilbao. Puisque c’est une mode (un peu éculée maintenant), et à l’instar du Nabucco valencien vu à un jour d’intervalle, la scénographie qui unie les deux œuvres transporte les spectateurs… dans un théâtre, celui-là même du Teatro Campoamor (et ses fameuses stalles), siège historique de l’Opéra d’Oviedo. On reprochera également au flamand Guy Joosten, à qui a été confiée la production, d’avoir modifié l’intrigue pour mieux « harmoniser » les deux ouvrages. Au final, le résultat se montre décevant, et n’a pas convaincu non plus le public asturien en cette soirée de première…
Le plateau vocal offre autrement plus de satisfactions. À commencer par le bonheur de retrouver Maria Katzarava dans la double partie de Bianca et Nedda – la soprano mexicaine s’avérant bien plus à sa place ici que dans I Due Foscari à Parme en octobre dernier. Malgré un allemand un peu embarrassé, elle se montre à la fois brillante, incisive et égale sur toute la tessiture dans le premier rôle, jetant tous ses moyens et son superbe tempérament dans la bataille. Et elle confère ensuite aux duetti de Nedda une rare intensité, aussi bien dans l’abandon sensuel qu’au moment d’affirmer son innocence, sans parler du violent « Mi fai ribrezzo » lancé à Tonio. De son côté, son compatriote Diego Torre s’avère simplement parfait en Guido, avec son timbre solaire et sa voix arrogante. Il renouvelle également l’enthousiasme suscité par son Canio à l’Opéra des Nations de Genève l’an passé, auquel il offre la même impressionnante véhémence : son « Vesti la giubba » restera dans les mémoires. Dans le rôle du mari trompé (et torturé) Simone, le baryton suédois John Lundgren fait valoir une voix aux accents brutaux qui a quelque chose de proprement halluciné. Mais elle peut aussi se déployer avec générosité et éclat quand la musique se fait plus lyrique, notamment dans I Pagliacci, comme on avait déjà pu l'éprouver avec son superbe Barak (Die Frau ohne Schatten) au dernier festival de Verbier. Isaac Galan a le physique avantageux requis pour le rôle de Silvio, mais la voix peine en revanche à se projeter. Quant au jeune ténor espagnol Juan Noval-Moro, il confère un relief inusuel à Beppe, avec une Sérénade d’une belle séduction.
Pour finir (en beauté), le chef allemand Will Humburg empoigne les deux partitions avec une passion qui semble se communiquer à chacun des musiciens de l’Orchestre symphonique de la Principauté des Asturies. Malgré l’ampleur inaccoutumée de l’effectif requis, pour le premier titre, le commentaire instrumental n’est jamais opaque. À la fois virtuose et admirablement différenciée, cette approche se caractérise par une délicatesse de touche et un raffinement extrême dans le choix des tempi qui font oublier les minimes imperfections d’interprétation entachant l’accompagnement orchestral.
Eine florentinische Tragödie & I Pagliacci à l’Opéra d’Oviedo, jusqu‘au 21 décembre 2019
Crédit photographique © Ivan Martinez
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