Pour son spectacle d’ouverture de saison - dévolu aux Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach en cette année du bicentenaire de sa naissance -, l’Opéra National de Bordeaux a d’abord payé de malchance. Cela a commencé par le défection du ténor américain Eric Cutler, dans le rôle-titre, puis par une grève inopinée des machinistes qui a transformé la Pré-générale et la Générale en versions concertantes. Par bonheur, une solution a été trouvé quelques heures avant le début du spectacle, et le remplaçant s’est montré à la hauteur du difficile rôle d’Hoffmann (nous y reviendrons). La soirée était également très attendue parce que Marc Minkowski proposait là la dernière (et donc la plus complète) édition critique du chef d’œuvre de Jacques Offenbach, que l’on doit à l’éminent offenbachologue Jean-Christophe Keck, et enfin parce que le spectacle était signé par Vincent Huguet, cet ancien assistant de Patrice Chéreau qui vient de se faire remarquer à la Staatsoper de Vienne (avec Die Frau ohne Schatten) avant de mettre en scène Manon à l’Opéra Bastille, cette saison. Au final, avouons que la soirée s’est révélée plutôt décevante (quant à ces deux composantes précises), et pour tout dire assez interminable, avec ses deux entractes et ses quelques quatre heures de spectacle, ne parvenant jamais à faire oublier, dans les deux derniers actes surtout, que le compositeur n’a pas eu le temps de donner à toutes les séquences de sa monumentale partition une forme totalement convaincante. Et pour ce qui est de la mise en scène, nous avons eu droit à une énième variation de la mise en abime de théâtre dans le théâtre, idée d’ailleurs déjà exploitée par Robert Carsen avec le même ouvrage (et plus de talent) à l’Opéra de Paris. Avec l’aide de sa scénographe Aurélie Maestre, il transpose ainsi toute l’action à l’intérieur du Grand-Théâtre de Bordeaux, construit par le génial architecte Victor Louis en 1780, et notamment au beau milieu de son escalier d’honneur, dominé par les imposantes cariatides de Thalie et Melpomène (photo). L’unicité du décor plombe toute tension dans un ouvrage qui n’en manque pourtant pas, avec par-dessus le marché une organisation des mouvements qui s’avère des plus sages et timides. Le traitement des trois héroïnes peine notamment à convaincre, transformant Olympia en ado capricieuse et Giuletta en diva accroc aux injections de botox !
Le chant fait oublier tout cela, et c’est à un sans faute auquel le public a droit. Souvent entendu à l’Opéra de Flandre - où il était en troupe ces dernières années (notamment dans Le Vaisseau fantôme ou L'Affaire Makropoulos) -, le ténor britannique Adam Smith fait sensation dans le rôle-titre. Hors quelques aigus métalliques et stridents (à priori dus à l’indisposition dont il souffrait les jours auparavant), il possède tous les atouts nécessaires à Hoffmann : il en a la jeunesse, l’ardeur et la beauté physique, en plus d’un excellent français, d’un timbre particulièrement charmeur et d’une technique déjà accomplie pour ses trente-deux printemps. Quant à la superbe soprano australienne Jessica Pratt, elle résout la quadrature du cercle et réussit l’exploit d’incarner les quatre rôles féminins : elle fait ainsi fi des aigus stratosphériques d’Olympia, insuffle à Antonia toute l’énergie amoureuse requise par le personnage, et possède, enfin, un bas-médium suffisamment nourri pour rendre justice à Giuletta. Déjà entendu dans les divers Diables à l’Opéra de Monte-Carlo l’an passé, la basse française Nicolas Cavallier offre à nouveau à l'auditoire son élégance naturelle et sa formidable diction. Royale, également, la triple incarnation de la mezzo bordelaise Aude Extrémo, qui offre son timbre voluptueux tour à tour à La Muse, Nicklausse et La Voix sépulcrale, que ses talents de comédienne parviennent à parfaitement différencier. De son côté, le ténor français Marc Mauillon se tire des quatre rôles de valets avec le panache scénique qu’on lui connaît, auquel il faut ajouter une intonation sûre, un legato charmeur et l’étoffe d’un timbre sain. Le reste de la distribution est à l’avenant, et l’on se doit de tous les citer : le Spalanzani de Christophe Mortagne, les Luther et Crespel de Jérôme Varnier, les Nathanaël et Schémil d’Eric Huchet et les Hermann, Wilhelm et Capitaine des Sbires du jeune et prometteur Clément Godart. Enfin, le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux s’avère lui aussi vocalement remarquable, et il ne trahit ainsi aucun désordre pendant le Prologue.
Enfin, à la tête d’un Orchestre National Bordeaux Aquitaine avec lequel les tensions semblent s'être apaisées, Marc Minkowski rend justice au rythme et à l’esprit de la partition, même si la phalange girondine paraît parfois un peu trop lourde ou rapide, notamment au moment de la fameuse Barcarolle, que l’on aurait aimé entendre avec plus de langueur et de raffinement.
Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach au Grand-Théâtre de Bordeaux, jusqu’au 1er octobre 2019
Crédit photographique © Eric Bouloumié
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